mercredi 19 juin 2013

[Critique] Les Parapluies de Cherbourg, de Jacques Demy



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(France,
1964)



Reprise le 19 juin 2013




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coeur


Selon l’étymologie, le mot « mélodrame » signifie « drame en musique ». Jamais film n’aura aussi bien illustré ce sens-là que « Les parapluies de Cherbourg », tant la musique est prégnante au
sein de ce drame « merveilleux ». Car non content de réaliser une comédie musicale en France – genre très rare par ici et d’habitude plutôt l’apanage d’un cinéma hollywoodien plus fortuné –,
Jacques Demy pousse encore plus loin l’expérience en réinventant le genre et en créant tout bonnement un concept parfaitement inédit et unique : celui de réaliser l’intégralité du long métrage «
en chanté », comme il le revendiquait à l’époque, c’est à dire de ne jamais faire s’arrêter la musique et les chants de ses personnages… Contrairement à la comédie musicale traditionnelle, qui
alterne parties chantées et parties dialoguées, tout se retrouve ici mis en musique et fredonné par des voix, qui ne sont d’ailleurs pas celles des acteurs, petit miracle de la
post-synchronisation ! Rien que la bande annonce d’époque du film, amusante, jouait sur cet aspect « historique » en montrant une même scène du film
telle qu’elle aurait pu être réalisée selon l’époque et les techniques cinématographiques alors à disposition : muette, en noir et blanc, en couleurs, dialoguée, et bien sûr enfin… « en chanté »
!

S’il est difficile pour moi de vous parler des « Parapluies de Cherbourg », c’est qu’il appartient à ces films qui vous ont fait aimer le cinéma à tout jamais, à ces chef-d’œuvres éternels qui ne
vieilliront probablement jamais dans nos yeux et nos cœurs et qui continueront de nous mettre dans un état de fébrilité intense à chaque fois que nous les reverrons… Il faut dire aussi que seules
les premières minutes du film suffisent à nous rappeler combien le long métrage est une pure merveille de grâce et d’intelligence ! Rien que le générique semble être un résumé à lui seul de
l’œuvre tout entière : il pleut sur Cherbourg et Demy filme un ballet de parapluies vu du ciel… c’est en dessous de ces parapluies que grouillent des êtres aux natures aussi diverses que
l’humanité toute entière : il y a les parapluies pressés et ceux qui traînent sur le pavé mouillé, il y a les parapluies colorés et les parapluies noirs… La façon dont les couleurs laissent place
au noir sur les parapluies à la fin du générique demeure d’ailleurs comme une annonce de la structure même du long métrage : d’abord très gai et plein de vie, puis sombre et amer à la fin, un peu
le récit d’une vie comme tant d’autre, au fond…

La première séquence du film marque ensuite avec conviction les intentions du film, mais aussi celles du cinéma de Jacques Demy tout entier, si l’on peut dire ! En montrant les ouvriers d’un
garage réparer des voitures en chantant, le cinéaste mêle le prosaïsme de l’existence le plus trivial à la poésie mélodique de la chanson. Il réinvente et égaie la vie quotidienne en la faisant
chanter, soit littéralement en « l’enchantant ». Il s’amuse en outre à faire parler de théâtre et d’opéra des ouvriers, généralement considérés comme incultes. Et si une critique est faite par
l’un d’eux sur l’opéra (« tous ces gens qui chantent moi ça me fait mal »), il le fait lui-même en chantant, créant ainsi un paradoxe amusant et montrant au fond que l’enchantement triomphe
toujours ! Les couleurs vives des décors et les tapisseries chatoyantes des appartements permettent également d’appuyer ce même décalage entre la mélancolie du sujet (une histoire d’amour un peu
tragique, où les amants sont séparés et ne se retrouvent finalement jamais) et son traitement lumineux à l’écran…

Malgré sa simplicité apparente et sa structure mécanique en trois parties (indiquées en toutes lettres à l’écran : le départ / l’absence / le retour), « Les parapluies de Cherbourg » apparaît
pourtant comme l’une des plus belles et des plus tragiques histoires d’amour du cinéma ! Combien de spectateurs ont déjà pleuré devant « Les parapluies » et combien pleureront encore ? Et malgré
son ancrage dans son époque (l’actualité, les mœurs… décrites en filigrane), cette histoire conserve encore aujourd’hui son atemporalité et son universalité. Certains l’ont d’ailleurs revisité
avec beaucoup de talent au fil du temps, comme Jacques Martineau et Olivier Ducastel avec « Jeanne et le garçon formidable » ou Christophe Honoré et ses « Chansons d’amour »

Mais « Les parapluies de Cherbourg », c’est aussi mille autres choses, et l’on aurait jamais fini d’en parler… C’est par exemple une Palme d’or inattendue à Cannes en 1964, c’est une liberté de
cinéma infinie dans la droite lignée de la « Nouvelle vague », c’est la révélation de Catherine Deneuve au cinéma (et ça ce n’est vraiment pas rien !), c’est la musique de Michel Legrand, c’est
les drames de l’histoire qui séparent les amoureux, c’est l’évocation – même hors champs – de la Guerre d’Algérie (un sujet qui restera longtemps tabou et qui encore aujourd’hui n’a que peu été
traité au cinéma), c’est un travelling inoubliable sur le quai de la gare de Cherbourg, c’est un vélo qui avance comme par magie, c’est « je t’aime je t’aime ! », c’est « je ne pourrai jamais
vivre sans toi », c’est Gui, c’est Geneviève, c’est une station service triste à pleurer sous la neige le soir de Noël, c’est un film mythique… « Les parapluies de Cherbourg », c’est tout
simplement « l’essence » même de la cinéphilie !



Perspective :



- Le monde enchanté de Jacques Demy (Exposition à la
Cinémathèque française)































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