dimanche 31 octobre 2010

La Vérité, d’Henri-Georges Clouzot (France, 1960)



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Note :
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On peut voir dans "La vérité" d'Henri-Georges Clouzot une forme d'affrontement à plusieurs niveaux. A travers le procès de Dominique Marceau, cette jeune femme aux mœurs légères qui a tué son
amant (la question est de savoir si le crime était passionnel ou prémédité), le cinéaste montre une France partagée entre le conservatisme de ses institutions (incarné ici par le monde de la
Justice et des tribunaux) et le modernisme d'une jeunesse progressiste. Il filme le malaise d'une jeunesse éprise de liberté, qui a bien du mal à trouver sa place dans une société sclérosée, qui
la condamne et qui manque sérieusement de "fun". Il n'y a qu'à voir la moyenne d'âge élevée des jurés et des juges qui s'opposent à la jeune accusée. Quelque part, celle ci incarne l'émancipation
que vont connaître par la suite les années 60, dont le point culminant sera bien sûr 1968... Mais pour Clouzot, la notion d'affrontement et d'opposition se joue très probablement aussi sur le
plan cinématographique : trop vite classé dans la catégorie "qualité France" d'un vieux cinéma mourrant, "La Vérité" alterne pourtant les scènes de tribunal, filmées "classiquement" en intérieur
et en studio, avec des flash-back décrivant la vie dissolue de Dominique Marceau, qui eux sont tournés en décors naturels (principalement dans le Quartier Latin à Paris) et même en extérieur ! Le
réalisateur confond ainsi un cinéma "à l'ancienne" avec une nouvelle façon de filmer, qui sera finalement celle de la "nouvelle vague" tout juste naissante... Il se montre alors comme un cinéaste
ouvert, capable d'entrer dans la modernité, contrairement à tout ce qu'on a pu dire de lui à l'époque, en le considérant notamment comme appartenant à un cinéma du passé !

A la Cour de justice, on assiste à des joutes oratoires incroyables entre les avocats, par le biais de dialogues parfaitement écrits et souvent ironiques, teintés de noirceur et de cynisme... Les
rapports entre les deux avocats symbolisent d'ailleurs très bien cet esprit retors, pétri d'ambiguïté, puisque s'ils s'affrontent acerbement au cours du procès, ils s'entendent finalement à
merveille en "off", capables de conversations parfaitement amicales et chaleureuses, voire amusées sur leur métier ou leurs clients... L'un des avocats ira même jusqu'à lancer cette boutade
savoureuse : "Et dire que ça pourrait être un si beau métier... sans les clients !"

Mais à travers cette ambiguïté, Clouzot cherche justement à saisir cette "Vérité" dont son film porte le nom... Il démontre habilement, par des dialogues et un scénario malin, mais aussi par une
remarquable réalisation, qui sait amener les choses au moment même où il le faut, que la vérité est un concept assez flou et surtout instable, capable de se transformer constamment, ou plus
précisément d'incarner une chose et son contraire selon le point de vue où l'on se place. Les plaidoiries contradictoires lors d'un procès au tribunal étaient bien entendu la meilleure façon de
rendre compte de cette dimension des choses. Clouzot s'expliquera d'ailleurs très bien lui-même à ce propos : "J'ai voulu montrer cette ambiguïté constante de la vérité et les éclairages
différents qu'on peut donner à un même évènement. [...] Ce que je veux montrer, c'est que tout le monde dit la vérité, mais que ce n'est jamais la même." Tout le monde peut ainsi avoir raison (ou
tort !) en même temps, la Justice s'avérant donc finalement infiniment subjective et aléatoire... D'ailleurs, le verdict n'intéresse pas Clouzot, celui-ci laissant son film se conclure sur un
coup de théâtre, qui empêchera toute délibération aux jurés !

Côté interprétation, on peut dire que l'on est gâté ! Autour des deux avocats brillamment incarnés par Charles Vanel et Paul Meurisse, symboles d'un cinéma "classique", on peut apercevoir la
jeunesse dramatique montante et moderne : Samy Frey, Jacques Perrin... et bien sûr Brigitte Bardot, encore une fois dans un rôle de fille de petite vertue, mais quel rôle ! Qui aurait pu aussi
bien incarner la jeunesse avec autant de fraîcheur et d'avant-garde qu'elle à l'époque ? Et surtout quelle interprétation ! Jamais BB n'aura sans doute aussi bien joué le mélodrame flamboyant
(avec une aussi criante "vérité", oserait-on dire) que dans "La Vérité" : comme quoi la direction d'acteur, lorsqu'elle est réalisée par les plus grands, peut accomplir des miracles !































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3 commentaires:

  1. Des miracles on peut le dire, d'ordinaire BB me sort par les trous de nez, et là j'ai adoré ce film, vu à la cinémathèque de Toulouse, sur les conseils d'une amie. Elle reste quand même en
    dessous des autres très bons acteurs mais ça dérange pas.


     


    Et c'est vrai que le cynisme des avocats est savoureux. Un grand Flim!

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  2. J'ai bien aimé cette Vérité, évocation de l'émergence de cette culture jeune qui éclatera en 1968. Il y a un arrière-plan moral savoureux, avec la libertine
    Bardot qui finit mal, alors que sa soeur, Marie-José Nat, prude et bonne fille, évite le pire ! 

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  3. en effet, je n'avais pas pensé à cet arrière plan moral... ;)

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