mercredi 17 mars 2010

Achille et la tortue, de Takeshi Kitano (Japon, 2010)

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Note :
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Le film commence par éclairer son titre par une petite séquence animée, où il décrit le fameux paradoxe d’Achille et de la tortue, formulé par Zénon d'Élée, dans lequel Achille, coureur rapide,
n’arrive pas à rattraper une tortue, avançant pourtant plus lentement que lui et à laquelle il a accordé cent mètres d’avance : « Supposons pour simplifier le raisonnement que chaque concurrent
court à vitesse constante, l'un très rapidement, et l'autre très lentement ; au bout d'un certain temps, Achille aura comblé ses cent mètres de retard et atteint le point de départ de la tortue ;
mais pendant ce temps, la tortue aura parcouru une certaine distance, certes beaucoup plus courte, mais non nulle, disons un mètre. Cela demandera alors à Achille un temps supplémentaire pour
parcourir cette distance, pendant lequel la tortue avancera encore plus loin ; et puis une autre durée avant d'atteindre ce troisième point, alors que la tortue aura encore progressé. Ainsi, toutes
les fois qu'Achille atteint l'endroit où la tortue se trouvait, elle se retrouve encore plus loin. Par conséquent, le rapide Achille n'a jamais pu et ne pourra jamais rattraper la tortue ». Ce
paradoxe n’est bien sûr qu’une vue de l’esprit et il caractérise finalement assez bien le personnage du film de Kitano, que l’on voit courir en vain après le succès, qui toute sa vie a essayé de
devenir un peintre reconnu, sans jamais y parvenir…

Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé ! Le film se divise en trois parties, symbolisant les trois âges de la vie de ce personnage, dans lequel le cinéaste met sûrement une bonne dose
d’autobiographie. Il se révèle que depuis le jour où un peintre à qui son père achetait des toiles lui remet un béret qu’il ne quittera plus dès lors, il décide qu’il sera un grand peintre ! Toute
sa vie, il remet ainsi la main à l’ouvrage, inlassablement, ne désespérant jamais, quoiqu’il coûte, croyant jusqu’à la fin qu’il pourra être un artiste. Plus il grandit, plus sa vie ne ressemble
finalement pas à grand chose et plus il semble s’enfermer dans son monde… Des tragédies arrivent régulièrement autour de lui, entraînant la mort de personnes proches de lui, sans que ça ne
l’affecte plus que ça. Peut-être l’habitude du malheur… Malgré l’enchaînement des drames, le film garde pourtant une vraie force de vie et un humour hors du commun : Takeshi Kitano filme l’ironie
de la mort mieux que personne ! La vie de son personnage est éminemment triste et désespérante, fade et inutile, mais on ne peut s’empêcher de le trouver touchant dans son acharnement à vivre,
malgré tout, à poursuivre son obsession de vouloir peindre. Car c’est bien de sa passion qu’il puise le goût de la vie. Quand il rencontre enfin une fille qui le comprend et qui veut bien rester
avec lui, tous les deux fusionnent au point de se lancer dans les expériences artistiques les plus farfelues, ensemble, comme si désormais ils n’étaient plus qu’un… Même la fille qu’ils auront, au
fond, leur demeurera à tout jamais une parfaite inconnue. Et si Machisu (c’est le nom du « héros ») ne parvient jamais à faire apprécier son art, il n’a pas pour autant gâché sa vie, dans la mesure
où il a rencontré cette femme, cette personne unique mais ô combien précieuse, qui le comprend et lui permet de continuer sa route et de vivre mieux. A deux, la vie c’est mieux : la dernière image
du film, étonnamment romantique, marquant le retour en couple des deux tourtereaux après une tentative de suicide ridicule et ratée du personnage ayant dû retrouver un moment sa solitude après la
mort de sa fille, ne semble rien vouloir nous dire de plus…

La mise en scène est merveilleusement douce dans « Achille et la tortue ». Kitano sait faire durer les plans avec une rare poésie, avec un regard d’une finesse et d’une précision absolue, partagée
entre une attachante mélancolie et une ironie parfois moqueuse… Il favorise le plan d’ensemble ou le plan séquence et filme souvent sans maniérisme ni fioriture. C’est brut et doux à la fois :
étonnant paradoxe…

Par le biais de son personnage (qu’il interprète lui-même dans la dernière partie du film), le cinéaste japonais nous propose enfin une réflexion sur l’art plutôt fouillée et tout bonnement
passionnante. Visiblement, l’acharnement au travail, à l’apprentissage, à l’expérimentation ou à l’admiration d’autres artistes, ne suffit pas à parvenir au succès. Kitano veut-il signifier que le
génie ne s’apprend pas ? Mais le film ouvre des perspectives bien plus larges encore ! Le marché de l’art y est présenté avec un certain cynisme. On y voit le pouvoir de l’argent, pas exactement
compatible avec la culture ; on y voit aussi des « marchands » vendre à de riches idiots les « œuvres » naïves d’un enfant… Un sage interroge ses élèves sur la vraie valeur de l’art : s’ils
mourraient de faim et qu’ils devaient choisir entre une toile de maître et un sac de riz, ne prendraient-ils pas fatalement le riz ? Quel est le sens de l’art ? Qu’est-ce qu’être un artiste ? «
Achille et la tortue » est un film brillant, subtil et intelligent qui questionne profondément et durablement sur l’art et sa présence dans la vie d’un homme… On en ressort émerveillé et tout
retourné !






























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4 commentaires:

  1. Je vais commencer à t'en vouloir, parce que tu passes ton temps à parler de films que je ne pourrai pas voir, même pas en DVD (à moins que je ne gagne au Lotto et que je puisse m'acheter tous les
    DVD à 20€) parce que jamais il ne sera repris par mon magasin de location de DVD celui-là (faudra vraiment qu'on m'explique comment rajouter des sous-titres aux films, je n'y arrive pas).


    (partie boudée dans son coin, ne sait pas si elle reviendra avant de voir ici un article sur un film archi-commercial diffusé dans toutes les salles pour qu'elle puisse dire qu'elle le snobe...)
    (et surtout pas un film d'art et essais réalisé par un réalisateur qu'elle aime)(pfffffffffffffffffffffffff)

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  2. Alice ça ne compte pas, je ne peux pas le snober, je l'ai déjà vu... Du coup, je  me tâte.

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  3. Kitano signe là un film d'une immense poésie! A découvrir!!

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  4. tout à fait d'accord avec toi !!


    il aurait mieux fait de poursuivre dans cette voie, plutôt que de revenir aux yakuza avec "outrages"...

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