dimanche 1 juin 2014

[Critique] Dressé pour tuer (White Dog), de Samuel Fuller

Dressé pour tuer (White Dog)
de Samuel Fuller
(Etats-Unis, 1982)

Le Jour du Saigneur # 142

Reprise en salles le 28 mai 2014

★★★

Film injustement maudit, « Dressé pour tuer » fût accusé de racisme avant même sa sortie, qui devint alors extrêmement confidentielle, rendant ainsi le film quasiment invisible à l’époque, sinon un peu en Europe… Cette accusation envers un long métrage qui se révèle en réalité tout le contraire d’une œuvre xénophobe détermina d’ailleurs le cinéaste Samuel Fuller à s’exiler en France. En redécouvrant le film aujourd’hui, force est de constater que le monde était alors passé à côté d’une œuvre immense, voire peut-être d’un chef-d’œuvre !

« Dressé pour tuer », étonnamment adapté d’un roman (autobiographique !) de Romain Gary, raconte la rencontre d’une jeune actrice avec un chien qu’elle a accidentellement renversé sur la route… Après avoir vainement recherché son propriétaire et que le chien lui a sauvé la vie lors d’une agression, elle décide de le garder avec elle, jusqu’à ce qu’une série d’évènements troublants laisse découvrir la vérité sur ce mystérieux chien. Il s’agit en réalité d’un « chien blanc » (« White Dog »
est d’ailleurs le titre original du film), c’est à dire un chien volontairement dressé par son maître pour s’attaquer exclusivement aux personnes noires et les mettre à mort…

Déterminée à garder son chien malgré le danger de cette bombe à retardement, la jeune femme trouve de l’aide auprès d’un dresseur noir, qui se fait un défi personnel de déconditionner le chien… sauf que le scénario du film, construit comme un véritable film d’horreur de l’époque, réserve bien des aléas et surtout des scènes d’attaque du chien assez violentes et impressionnantes. On retiendra particulièrement celle d’un homme noir que le chien poursuit dans une église et qu’il achève, le museau ensanglanté, sous le vitrail d’un Saint François d’Assise entouré d’animaux, dont un pacifique et immaculé chien blanc ressemblant au berger allemand du film de Fuller… Ironie mordante de la part du cinéaste !

La mise en scène de « Dressé pour tuer » est d’ailleurs bien souvent exaltante et passionnante ! Elle peut jouer avec le spectateur (lorsqu’un petit garçon noir traîne dans la rue, à la vue du spectateur mais pas encore à celle du chien… pour finir par rentrer dans une maison au moment même où le chien aurait pu le voir… suspense et frisson garanti !) ou encore se révéler brillamment intelligente, justement sur la question du racisme… On notera notamment le « cirque » où le dresseur travaille, aux allures de prison avec ses barreaux, qui emprisonne les différents personnages les uns par rapport aux autres… Le finale, éminemment pessimiste, où le chien finit étendu au milieu de cette « prison », demeure une belle métaphore, d’autant que le générique de fin a la grande idée de permuter l’image en négatif, faisant passer le chien du blanc au noir, comme si l’on devait toujours demeuré prisonnier de préjugés manichéens…

Construit comme un thriller aux frontières de l’épouvante, « Dressé pour tuer » demeure ainsi une pièce majeure et fascinante de l’œuvre de Fuller, dans laquelle tout semble éminemment agencé : interprétation parfaite (avec notamment un chien magnifiquement dressé), plans audacieux et musique (signée Ennio Morricone) participant à une atmosphère à la fois tendue et pleine de désespoir pour l’humanité…

Perspective :

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