mercredi 24 juillet 2013

[Carte blanche] La petite musique de Hong Sang Soo (vu par Thomas Fioretti)


Passez un été "en chanté" avec Phil Siné !



Fou de pénis tennis et 273ème du classement national sénior de Fleuret, Thomas Fioretti est aussi cinéphile et oeuvre pour le ciné-site le plus "independencia" de la webosphère! Pour notre série d'été, il nous offre un article passionnant sur la musique dans les films de Hong Sang
Soo...



Jouer petit pour voir grand



Le refrain est connu, Hong Sang Soo refait toujours le même film. En écoutant sa petite musique, nos oreilles attentives (et nos yeux clairvoyants) nous disent l’inverse. Contrairement aux lâches
qui peuplent ses films, Hong ouvre à chaque fois la page d’un grand  journal réécrit sans cesse pour lui-même, résolu à s’améliorer pour devenir un homme meilleur et un meilleur cinéaste.



hong_sang_soo.jpg



#1 Comptine et le conte cruel



La musique, on le sait, ne joue pas un rôle majeur dans les films de Hong Sang Soo. Elle est une ponctuation morale dans le grand chapitre de ses romances alcoolisées.



S’il est en revanche quelque chose qu’a toujours gardé HSS dans son système narratif, c’est la réversibilité de toute chose. De la première partie de son œuvre, "La Vierge mise à nu par ses
prétendants" (2000) en est sans doute l’emblème le plus brillant. Soo-Jung travaille comme assistante du cinéaste Yoong-Soo. Elle croise Jae-Hoon, un vieil ami du lycée de Soo-Jung, qui s’avère
vite attiré par la jeune fille malgré son inexpérience. Soo-Jung plaît aussi à Yoong-Soo, mais la belle se refuse toujours aux hommes. Le récit fonctionne comme un miroir déformant la psychologie
humaine. Deux faces d’une même pièce rejouée différemment pour brouiller toute caractérisation certaine. “Ne change rien pour que tout soit différent” dit Godard dans les "Histoire(s) du cinéma"
(1998). Telle pourrait être la morale du cinéaste sud-coréen, lui qui est souvent accusé de répéter inlassablement le même film depuis ses débuts, avec des combinaisons différentes (dans le
désordre : alcool, femmes, dilemmes moraux, parfois en même temps).



Une petite comptine ouvre chaque chapitre de "La Vierge..." Écoutez les premières notes du seul thème musical du film en cliquant ici.



La ritournelle est semblable à celle d’un pianiste amateur répétant ses gammes. À la longue, elle saoule, car c’est l’ivresse que cherche le cinéaste: Hong Sang Soo ne cherche, pour celui qui s’y
accroche, qu’à faire tourner les têtes; il tient à épuiser le spectateur dans ses questionnements moraux fuyants. L’accuser de paresse, c’est confondre l’inactivité et la couardise de ses héros
avec le rythme frénétique de ses tournages (15 films en 17 ans, soit près d’un film par an). La comptine est à la fois un leurre à la cruauté de la fable qu’est "la Vierge" et un exercice de
variation à la fois modeste et troublant. Écoutez l’amateurisme forcé de l’interprétation - elle sonne comme une mauvaise reprise musicale qu’on pourrait trouver sur Youtube.



#2 Piège et rupture



À partir de "La Femme est l’avenir de l’homme" (2004), HSS change de compositeur en prenant Jeong Yong Jin - qui signe la musique de tous ses films depuis. Un saut à la fois dans le style et dans
la vitesse d’exécution des actions. Les percussions claviers et la résonance des cloches qui ouvrent "Conte de cinéma" (2005) offrent la tonalité d’un jour nouveau.



hong_sang_soo_bis.pngJeong
Sang au désespoir dans "Conte de cinéma" (2005)



Le changement s’accompagne à l’image dès les premières secondes où un zoom arrière rapide introduit l’action. HSS le répète à outrance dans cette première partie. À la fin du premier épisode (le
suicide raté des deux amants), un zoom arrière du soleil couchant vers Jeong Sang doublé de son cri du désespoir est ponctué par une petite ritournelle enjouée au piano. Le raccord musical, sur
la sortie de spectateurs d’une salle de cinéma alors que la musique continue en sourdine, montre que nous avons été piégés : le zoom serait donc un procédé introduit dans un faux film; un film
qui serait l’idée que se fait Hong de son nouveau style, encore mal assumé en 2005. L’usage du travelling optique, recadrage et montage permanent de son sujet, fera dès lors l’objet d’une
utilisation de plus en plus fine et maîtrisée à partir de "Like You Knew It All" ("Les Femmes de mes Amis", 2009). Ce procédé “méta” est d’ailleurs repris entre le premier et le deuxième segment
d’"Oki’s Movie" (2010) où la musique de fin de la première partie continue devant le défilé générique sorti d’un ordinateur, devant lequel un jeune réalisateur montre son film de fin d’étude au
professeur : vient-on simplement d’assister à la projection d’un film? Chez Hong Sang Soo, l’affirmation est toujours suspendue ou contredite par la littéralité de ses images, et plusieurs
réalités s’y côtoient sans cesse. Il n’est guère de cinéma aussi réaliste et labyrinthique que celui du maître sud coréen. Labyrinthique parce que ses structures révèlent leurs beautés après
mille détours; réaliste parce qu’il n’est pas de morale possible sans renversement des choses par leur dispositif et l’échec qu’il ressort d’un tel lessivage moral (en cela, Hong est bien
différent d’un naturalisme du temps qui passe observé chez d’autres cinéastes venus d’Asie).



#3 Vitesse et épuisement



"The Day He Arrives" (2011) marque une nouvelle étape dans le parcours de HSS. C’est un faux retour en arrière vers le noir & blanc de "La Vierge..." On y songe puisqu’il s’agit aussi d’un
film où les situations se répètent. C’est d’abord l’histoire d’un retour, celui de Seong-ju dans son Séoul natal, où il rend visite à un ami. Il ne peut s’empêcher d’aller chez son ex-petite amie
et promet après une nuit passée avec elle à pleurer et souffrir sur leurs sorts respectifs de changer et ne plus jamais la revoir. Mais lorsqu’il quitte la maison, il est contraint de revivre
toujours la même journée, enfer comparable à Bill Murray dans "Un Jour Sans Fin" (Harold Ramis, 1993).



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Le calvaire de Seong-ju dans "The Day He Arrives" (2011)



Dans la bande annonce (en couleurs) et cette scène extraite du film, c’est aussi une des toutes premières fois qu’une petite musique vient accompagner l’action à l’image (à écouter ici).



La plupart du temps chez Hong, la musique s’efface au profit du rythme des dialogues. La précision de la direction et de la mise en scène sont elles-même suffisantes à amener une musicalité. De
son dernier film "In Another Country" (2012), j’avais dit à Cannes que les films d’HSS étaient “comme de fragiles boites à musique
qui diffusent une ritournelle agréable mais parfois capiteuse, susceptible de s’enrayer, sujets au bon vouloir des doigts tournant la manivelle”.



L’usage le plus étonnant d’une musique chez Hong-Song Soo reste pourtant dans "Oki’s Movie", où il reprend au début de chaque segment la
marche de "Pomp & Circumstance" d’Elward Elgar
.



C’est typiquement l’illustration d’une musique triomphante utilisée pour désamorcer ironiquement la modestie de ce qui lui succède. Jouée au piano dans un petit air nu à la fin de la partie
“After The Snowstorm”, elle gagne en mélancolie, en douceur. C’est toute l’intelligence de Hong que de savoir faire des variations avec toute chose.



Mais c’est aussi, quoi qu’on pense du manque d’évolution de son œuvre, à la fois une marque de modestie et de souveraineté. Les ratures inscrites ainsi sur son journal tentent de tout changer en
ne changeant rien. Elles sont aussi là pour espérer que chaque jour permette d’accepter d’être identique pour être différent, de voir petit pour rester grand.



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