vendredi 14 juin 2013

[Critique] L’inconnu du lac, d’Alain Guiraudie



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(France, 2013)



Sortie le 12 juin 2013




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« L’inconnu du lac » est un film couillu et jouissif… et pas seulement parce qu’on y voit des bites qui jouissent ! C’est vrai qu’Alain Guiraudie y joue énormément avec les codes, à commencer par
ceux de la pornographie. Il y montre un site de drague homo, au bord d’un lac plaisant et bucolique, où l’on voit des garçons se toiser, s’embrasser et plus si affinités, quasiment tous à poils,
la quéquette au vent, à longueur de journée… Lors de la première scène de sexe explicite, on reste ahuri – ou amusé – par le choix de mise en scène, pour le moins taquin : toute la séquence évite
habilement les bites, jusqu’au moment de la jouissance, où le montage nous offre un bon gros plan frontal sur la bite délivrant un généreux jet de sperme ! Un peu plus tard, les silhouettes des
deux amants se dessinent à contre-jour d’un couché de soleil, comme dans un film romantique de carte postale, quand on comprend qu’ils sont en train de baiser, l’un des garçons exultant un « Je
vais jouir ! » en guise de « Je t’aime »…

Vous aurez compris que « L’inconnu du lac » est un film plein d’humour, qui joue notamment avec le spectateur, le poussant notamment dans ses retranchements et le bousculant dans ses attentes…
Guiraudie offre comme souvent un film qui ne ressemble à aucun autre, même si l’on voit bien qu’il emprunte ici à de nombreux genres : comédie, thriller, polar, porno, conte, fantastique… Mais
tous les codes propres à ces genres se retrouvent ici tellement détournés qu’ils deviennent tout autre chose, quelque chose d’inédit, de stimulant et de proprement excitant, presque dans tous les
sens du terme !

L’unité de lieu est d’emblée plutôt bien trouvée, conférant au long métrage une théâtralité bien particulière. Sa structure temporelle répétitive – chaque jour démarrant par le même plan sur un
parking sauvage où le héros vient se garer avec sa voiture – permet quant à elle de rythmer le film avec une simplicité admirable, donnant également à chaque journée sa tonalité, en fonction de
ce qui est montré dans chacun de ces plans, offrant de multiples variations : le temps qu’il fait, le nombre de voitures, leurs emplacements, etc. Quant à l’action, elle se situe essentiellement
entre trois personnages principaux, dans cet univers d’hommes où tout le monde se tourne autour. On aime les multiples glissements que le récit opère au fur et à mesure : « L’inconnu du lac »
perd peu à peu en légèreté pour devenir plus sombre, il perd en réalisme pour verser dans une forme de fantastique, et il passe également d’une atmosphère paisible et buissonnière à une tension
qui se resserre de plus en plus, comme un étau promettant une issue fatale…

La dimension presque fantastique du film est donnée par un ensemble d’indices discrets qui font peu à peu basculer l’histoire dans une sorte de conte à la fois tendre et cruel… Rien que le décor
se révèle emblématique : une plage où l’on se rencontre, un lac pour fuir à la nage et une forêt pour s’enfoncer dans des profondeurs abyssales, celle d’une sexualité sans entrave… Le héros
apparaît comme un petit Poucet ou un chaperon rouge innocent (ou inconscient), allant presque volontairement vers le danger et prêt à se jeter dans la gueule du loup ! Son amant est le loup
justement, un meurtrier éminemment séduisant… Et l’homme à l’écart, avec qui le héros se lie dès le début, sera comme son protecteur… ou sa bonne fée, si l’on veut. D’autres personnages pour le
moins curieux apparaissent, des elfes et des ogres, une créature marine monstrueuse qui peuplerait le lac (un silure de 10 mètres !), et d’autres empêcheurs de tourner en rond, comme ce curieux
inspecteur, qui enquête sur le meurtre d’un jeune homme retrouvé noyé dans le lac, et qui tiendra lieu de moralisateur et de bonne conscience…

Mais dans ce monde de conte de fées, il est aussi beaucoup question d’amour ! Et comme rien n’est jamais vraiment rassurant dans les mythes, l’amour y retrouvera très vite sa partenaire
éternelle, la mort, puisqu’Eros et Thanatos sont irrémédiablement liés… Le héros du film est ainsi attiré par un homme qui sème littéralement la mort. On peut aussi y voir une métaphore à travers
la sexualité libre, voire même pas toujours très safe, que nous présente Guiraudie… La question de la fidélité, mais surtout du rapport à l’autre dans un couple, innerve progressivement
l’intrigue et fait même poser de troublantes questions à l’inspecteur : quelle est cette communauté d’hommes qui se préoccupent aussi peu de la mort de l’un des leurs ? Comme il dit, même s’il ne
leur demande pas d’être solidaires (le cinéaste interroge ici l’existence même d’une « communauté » homosexuelle, sur le sens même de ce que cela représente effectivement), ils pourraient au
moins penser à eux et à leur propre survie… Or, leur fascination ne demeure-t-elle pas au fond la mort justement ? Ils finissent toujours par retourner dans cette forêt, mère de leurs ébats, de
plus en plus sombre, où le héros finira par se perdre… et se retrouver seul. Chaque personnage ne se révèle-t-il pas au fond prisonnier de sa solitude morbide et n’est-ce pas là l’un des messages
forts du réalisateur, adressé à un public bien plus large que ce que « L’inconnu du lac » pourrait a priori laisser penser. Car comme il le dit lui-même, "il y a eu beaucoup de films hétéros qui
sont devenus des métaphores homos, et bien disons que là j’avais envie de faire l’inverse, qu’un film au contenu au départ teinté par l’homosexualité devienne une métaphore de la société, du
désir, de l’humain en général."



Perspective :



- I Want Your Love, de Travis Mathews































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5 commentaires:

  1. Wow... rien de ce que j'ai vu/lu sur ce film ne m'avait donné la moindre envie de le voir jusque là (cinéma français + pas de musique dedans, c'est beaucoup me demander à la base, hein!) mais tu
    es fichtrement convaincant. Le film paraît tellement riche (dans sa mise en scène, dans ses thèmes, etc.) et unique vu comme ça, ton analyse est passionnante... J'en reste pour ainsi dire sur le
    cul ;)

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  2. papa tango charlie16 juin 2013 à 09:45

    pour moi l'impression est mitigée: les décors et les dialogues étaient très prenants. J'ai beaucoup aimé le personnage de franck. Mais si les scènes de cul et les plans "cap d'agde" sont marrants
    au départ, l'insistance et la répétition m'ont rendu assez impatient et la transformation de l'environnement que tu décris si bien arrive bien trop tard.


    sinon, c'était original et exotique  de voir un porno gay dans une salle rempli de couples hétéro et quinqua, lol! 

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  3. papa tango charlie7 juillet 2013 à 05:40

    Finalement j'ai apprécié le film avec beaucoup de recul... J'ai peut être été enervé de devoir le regarder entouré par de vieux collègues de boulot... abonnés aux films d'art et d'essai :D

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  4. Excellente chronique sur ce film que j'ai vu l'autre soir (merci Telerama). Le parallèle avec le conte et les différents genres est très juste, la mise en exergue de sa structure répétitive, des
    thèmes sous-jacents (la question de la "communauté", la mort à l'issue de pratiques non protégées, l'élargissement du propos sur l'ensemble de la société), tout cela est parfaitement amené par ta
    prose inspirée. Mon regard à retardement n'aura sans doute pas la même acuité. Si tu as l'occasion de passer, tu me diras...

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  5. oh merci pour cet éloge, ça fait vraiment plaisir... surtout sur ce film passionnant ! :)

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