samedi 13 octobre 2012

[Critique] Dans la maison, de François Ozon



dans_la_maison.jpg
(France, 2012)



Sortie le 10 octobre 2012




star.gif

star.gif

star.gif

coeur


Un professeur de français en lycée croit faire sa pire rentrée des classes en lisant les copies navrantes de ses élèves à sa femme galeriste d’art contemporain (le couple Fabrice Luchini /
Kristin Scott Thomas fait mouche dans ces rôles taillés sur mesure !) Persuadé que la société est en train de fabriquer des monstres et que l’école n’y peut plus rien, il tombe soudain sur une
copie d’exception et cet élève-là, le genre de ceux que l’on ne croise qu’une fois dans une carrière de professeur (et encore, si on a de la chance !), va très vite devenir son obsession… à un
point tel que le lien qui va se nouer entre eux – l’élève écrivant et le professeur lui apprenant à écrire – va peu à peu dégénérer…

Cet élève, c’est Claude. Incarné à l’écran par un jeune prodige que nous a dégoté une fois encore François Ozon pour le plaisir des yeux : Ernst Umhauer. Beau et troublant, il interprète un
personnage d’une ambiguïté ernst_umhauer.jpgfascinante : apparemment sage et timide, son étrange regard semble contenir une perversité sournoise et indéfinissable… Ce qu’il écrit à son professeur, c’est sa découverte de la
famille d’un de ses camarades de classe depuis l’intérieur de sa maison, où il se fait inviter plus pour l’expérimentation nécessaire à ses textes que pour approfondir sa relation avec son ami…
L’expérience devient vite bizarre et malsaine, chacun de ses récits à l’intérieur de la maison posant parfois un regard distancié, quand il n’est pas méprisant, à l’égard de cette famille de la «
classe moyenne »…

Mais l’essentiel est que Claude « tient » son professeur avec ses rédactions, qu’il le « tient » en haleine comme un auteur omniscient, notamment à coups de « à suivre » à la fin de ses copies,
mais qu’il le « tient » aussi dans une forme de rapport de domination qui ne dit pas son nom… Au fond, Ozon dresse avec « Dans la maison » un véritable traité de manipulation ! On assiste alors à
un jeu du chat et de la souris entre les protagonistes, chacun se servant tour à tour des uns et des autres pour accomplir une forme de désir, dont il n’est pas forcément tout de suite conscient…
Pourquoi le professeur aide cet élève par exemple : pour l’encourager dans ses efforts comme un simple professeur ? pour faire de lui un simulacre du fils que sa femme n’a jamais pu lui donner ?
parce qu’il en est tombé amoureux ? Un mystère entoure chaque personnage et le cinéaste passe en revue leurs diverses motivations possibles, créant en quelque sorte un jeu de Cluedo géant et
hypnotisant son spectateur avec un récit à tiroirs absolument passionnant !

« Dans la maison » est d’ailleurs aussi une exploration admirable de la fabrication même des histoires ! La construction d’un récit, le choix d’un style ou d’un genre, les intentions de l’auteur,
les motivations des personnages, toutes les questions de la fiction y passent, créant à l’écran des retours incessants sur les scènes et semant un peu plus le trouble dans une intrigue où réel et
fiction deviennent progressivement indémêlables… Que se passe-t-il véritablement « dans la maison » ? La fiction écrite par Claude s’appuie sur une certaine réalité, mais jusqu’à quel point ?
Jusqu’où peut-il aller dans le fantasme autour de la famille de son ami ? Qui est qui ? Qui veut quoi ? Qui manipule qui ? reste au fond la question au cœur du nouveau film de François Ozon,
probablement l’un de ses meilleurs !

Demeurant exceptionnel de bout en bout, « Dans la maison » dérape en outre comme il se doit, à l’image de la plupart des films du réalisateur, depuis la matrice originelle « Sitcom ». Mais ce
dérapage se fait subtilement, de façon presque invisible et sinueuse… et quand la fin arrive, comme le professeur le « professe » : tout ce qui arrive est parfaitement inattendu, mais cette
conclusion s’impose pourtant comme une évidence… Le plan final est en ce sens d’une beauté et d’une subtilité extraordinaire, ouvrant en grand une boite de Pandore de la fiction, chaque récit
proliférant et s’enchâssant toujours à la nécessité de raconter encore et encore, lorsque l’on est écrivain, ou artiste… ou bien sûr cinéaste ! Ozon s’impose alors comme un conteur hors pair,
truffant qui plus est ses récits d’une ironie et d’une distance qui en font toute la personnalité et la drôlerie… On retiendra ici les discours du couple Luchini / Scott Thomas sur l’inutilité de
l’art ou de la littérature, le nom – et surtout le prénom – du professeur qui apparaît au détour d’une couverture (Germain Germain !), les parodies parfois proche de la « sitcom » justement que
livre parfois Claude sur son expérience « dans la maison », le dédoublement d’une Yolande Moreau pour notre plus grand plaisir ou encore le personnage de Luchini qui se retrouve assommé par le
livre de Céline, « Voyage au bout de la nuit », que l’acteur a lu pendant des années au théâtre… au point donc d’être assommant ? Avec humour, Ozon nous manipule ainsi constamment, et on se
laisse faire avec complaisance et volupté…



Autres films de François Ozon :



Potiche (2010)



Le refuge (2010)































  • Plus










12 commentaires:

  1. Moui tu n'as pas trouvé cette fin ridicule toi ? (assomage étranglage)


    Pas bien compris ce qu'il fabriquait dans le dernier tiers du film, alors qu'avant c'était tout à fait prenant et intéressant. Puis les citations sont lourdes au bout d'un moment, justement parce
    qu'on n'a pas bien compris ce qu'il proposait comme variation (de Hitchcock, cf dernier plan qui m'a plus agacée qu'autre chose parce que "citant" trop et de façon un peu vaine à ce point du
    film, de Pasolini pour le côté "ange dans famille" etc). Bref je suis très partagée, l'impression d'un film malin et qui finalement se cache derrière son côté malin et se complaît dans son
    concept alors qu'il s'égare dedans

    RépondreSupprimer
  2. Je ne dirais qu'un mot Ozons !


    Je l'ai noté dans les films à voir.


     

    RépondreSupprimer
  3. papa tango charlie13 octobre 2012 à 10:14

    J'ai trouvé vraiment passionnant: Lucchini et scott thomas sont excellents, ce sont aussi nos seuls repères car il au fil de l'histoire on ne sait plus ce qui tient du vrai ou du faux "dans la
    maison": notre imagination est tout le temps sollicitée, comme quand on lit un livre.


    On retrouve avec joie dans chaque "rédaction" une retranscription des thèmes préférés d'Ozon: quel plaisir! 

    RépondreSupprimer
  4. J'ai bien aimé les acteurs et le scénario se jouant avec délice du lien réel-fantasme. Mais le départ de l'épouse est peu conpréhensible et la fin manque de réalisme... 2/4

    RépondreSupprimer
  5. Désolé Phil, j'ai été déçu. Un film pas raté mais plutôt ennuyant que tendu. Dommage pour une sorte de thriller psychologique. Et puis, moi je n'ai pas aimé ce Ernst ...

    RépondreSupprimer
  6. Admirable critique, tu résumes bien toutes les ficelles qu'Ozon nous a tiré, tous les fils qu'il a tiré. Juste de bout en bout et d'une intelligence exeptionnel ce film m'a poursuivie en dehors
    de salle de ciné avec de nvelles pistes de reflexion pour comprendre. TRès fin, le meilleur film vu cette année pour moi !   

    RépondreSupprimer
  7. il est mignon ce petit Ernst Umhauer ;-) je vois qu'on l'a mis en haut de page! ;-) sinon bravo pr le site , tu dois y passer bcp de temps!

    RépondreSupprimer
  8. Miaux vaut ne pas lire ces lignes si vous n'avez pas encore vu le film.


    Pour moi, au niveau ultime, il n'existe qu'une image de la "réalité", celle où l'on voit Luchini assis seul sur sa chaise à La Verrière. Tout le reste sort de sa tête de prof de français nourri
    de littérature et de cinéma.


    A l'appui de cette interprétation, la tête du prof de math (les profs de français prennent leurs collègues de math pour des hommes préhistoriques), la faute de français du proviseur
    (l'administration est aussi inculte que stupide), le décor de série américaine (c'est ainsi qu'il se représente l'imaginaire d'un garçon de seize ans nourri de télé)


    Voici les références littéraires et cinématographiques que j'y ai vues:


    Perec la vie mode d'emploi, Nabokov Lolita (Humbert Humbert), Alice au pays des Marveilles (Humpty Dumpty), Robert Musil Les désarrois de l'élève Toerless. La réflexion est centrée sur les
    rapports de l'art et de la réalité (Flaubert, les 2 expos de la galerie Le labyrinthe du Minotaure)


    Films: Mort à Venise, Théorème, Désarrois de l'élève Toerless, Psychose (pour la dernière séquence et peut-être l'affiche), Swimming-pool.


    J'aimerais qu'on m'aide à retrouver les autres références car à mon avis, ce film est une suite de citations. La famille Rapha, la galerie improbable, les jumelles, tout ceci doit avoir ses
    références que j'aimerais connaître.


    Si vous avez des solutions à cette petite énigme ou s'il existe des articles précis ou interviews d'Ozon sur le sujet. Merci de vos réponses.

    RépondreSupprimer
  9. J'ai oublié de citer Elephant de Gus Van Sant ds les références ciné

    RépondreSupprimer
  10. Ozon aime jouer au petit malin. C'est ce qu'il a toujours fait. Il le fait avec suffisamment de malice et d'espièglerie pour qu'on reste attendri par ce garnement du cinéma français. Son script
    adapté d'une pièce (on retrouve son amour de la transposition du théâtre au ciné) est simplement brillant d'ironie et de mise en abyme. Des influences parfaitement digérées (Hitchcock,
    Bunuel, Chabrol et même Resnais pour les variations libres à la "smoking/no smoking") et mis en scène au petit poil, on se laisse facilement inviter dans "sa maison" avant de se rendre
    compte qu'on vient d'être pris au même piège que les personnages. Comme lui, je suis formel : j'adore.

    RépondreSupprimer
  11. Pour moi le film est à la fois drôle et tendu, plus la fin avance et plus on s'attend à des actes terribles. Très bien ficelé, j'ai été épatée et bravo pour ta chronique passionante. Ozon
    pourrait te remercier de parler si bien de son cinéma.

    RépondreSupprimer
  12. j'ai fini par le revoir au festival télérama... et c'était presque mieux que la 1ere fois ! tout s'enchaîne et s'entremêle de façon passionnante !


    content qu'un film d'ozon puisse te plaire !

    RépondreSupprimer