mercredi 14 septembre 2011

[Carte blanche] La Neuvième porte, de Roman Polanski (vu par Antoine Torrens)


Passionné de vieux livres poussiéreux et de bandes dessinées plus contemporaines, Antoine Torrens est un jeune homme plein de ressources et de connaissances… Il est entre beaucoup d’autres choses
auteur sur Phylacterium, un blog de passionnés de B.D., qui est d’ailleurs en train de se reconvertir en site, pour encore mieux continuer l'aventure ! Outre des articles très fouillés et pointus sur des auteurs, des expos ou des évènements autour
du neuvième art, il vient aussi de gribouiller lui-même sa première planche que vous retrouverez en ligne… Il conclut aujourd’hui avec brio cette série de cartes blanches estivales chez Phil Siné
(eh oui, l’été, c’est fini !) en nous plongeant dans l’univers polanskien de la « Neuvième porte », film injustement déprécié selon lui et auquel il ne peut s’empêcher d’établir quelques
rapprochements avec ses passions premières…



carte blancheneuvieme_porte.jpg



La Neuvième porte, de Roman Polanski (Espagne, France, Etats-Unis,1999)



Carte blanche d'Antoine Torrens



Blog : Phylacterium







Réhabiliter La Neuvième Porte



La Neuvième Porte n'est pas réputé être le meilleur film de Roman Polanski. A sa sortie, en 1999, les critiques ont été impitoyables et même si les entrées françaises ont été
relativement correctes, le film a fait un bide aux Etats-Unis. Pourtant, il s'agit d'un de mes films préférés. Ai-je simplement mauvais goût ? Ou bien y a-t-il d'autres raisons à ce décalage
?

La Neuvième Porte met en scène un acheteur de livres rares, Dean Corso (Johnny Depp), qui se voit demander de retrouver l'exemplaire authentique d'un manuel d'invocation satanique,
Les Neuf Portes du royaume des ombres. Il parcourt l'Europe à la recherche de ces ouvrages et trouve sur son chemin, entre autres, une veuve torride, une baronne joyeuse, deux
restaurateurs malicieux et une jeune femme énigmatique aux yeux verts.
Les critiques négatives de ce film restent souvent fixées sur un point précis : la dernière scène du film, qui a visiblement mis mal à l'aise un certain nombre de spectateurs. Sans dévoiler ici
le dénouement (parce que c'est très mal de spoiler), on se bornera à rappeler que :
1. Cette fin s'inscrit de manière tout à fait logique dans le scénario.
2. Emmanuelle Seigner a des seins superbes.
3. Il est assez habituel de trouver chez Roman Polanski des éléments de kitsch à l'intérieur des
intrigues les plus dramatiques. Peut-être ce kitch va-t-il un peu loin et se retrouve-t-il en  décalage par rapport au reste du film. Peut-être aussi n'est-il pas suffisamment préparé en
amont : comme dans d'autres films de Roman Polanski, le sérieux de l'action est régulièrement interrompu par des épisodes burlesques (ainsi de la célèbre parodie de satanisme dans le château de
Saint-Martin). Il est d'ailleurs étonnant que ceux qui décrient cette scène finale et, à sa suite, le film tout entier, soient les mêmes qui portent aux nues Le bal des vampires (1967), avec son mélange de drame et
de burlesque. Finalement, l'erreur de Polanski avec La Neuvième Porte est peut-être de n'avoir pas été suffisamment lourd et grossier au début du film.

La Neuvième Porte est en effet, notamment en comparaison d'autres films plus récents de Roman Polanski, d'une certaine beauté et même d'une certaine finesse. Et même s'il n'a pas
conservé la double intrigue, pourtant si ingénieuse, du livre dont il est tiré (Club Dumas, d'Arturo Pérez-Reverte, 1993), le film de Roman Polanski en a nettement développé le côté
second degré ainsi que, format oblige, tout ce qui a trait à l'image et à la beauté visuelle.

Je ne peux pas m'empêcher de rapprocher La Neuvième Porte de certains de mes centres d'intérêt habituels, à savoir les livres anciens et les bandes dessinées. Lui-même tiré d'un livre,
La Neuvième Porte est un film qui parle de livres. Son intrigue tout entière tourne autour des fameuses Neuf portes du royaume des ombres, ouvrage qui aurait été publié en 1666
[sic] par l'imprimeur vénitien Aristide Torchia avec l'aide du Diable. Le film fait également de fréquentes allusions au Diable amoureux, de Jacques Cazotte (1772), un livre qui existe réellement et a souvent été considéré comme le premier roman fantastique français. Il parle aussi un peu des Trois
mousquetaires
: les critiques ont remarqué avec pertinence que le personnage de Liana Telfer est un double de Milady et que son garde du corps joue le rôle que jouait Rochefort dans le roman
de Dumas.

Encore plus que des livres eux-mêmes, le film de Polanski parle surtout des amoureux des livres, bibliophiles ou bibliomanes, et de leurs voyages qui les conduisent dans des lieux surannés
recouverts de poussière, de dorures et de lierre : Tolède, Paris, Sintra... Cette succession de voyages a été l'un des appuis majeurs de ceux qui ont fait le rapprochement entre La Neuvième
Porte
et Les aventures de Tintin. Plusieurs éléments ont conduit les commentateurs à faire cette comparaison : le côté "secret de la licorne" de l'intrigue, les deux libraires
ressemblant singulièrement aux frères Dupond/t, la similitude entre Johnny Depp déguisé en sectateur de l'Ordre du Serpent d'argent et Tintin dans Les cigares du pharaon, et enfin le
goût bien connu de Roman Polanski pour la bande dessinée... Cette comparaison a pu sembler un peu tirée par les cheveux, mais elle concentre une large part de ce qui me plaît dans ce film : des
aventures, des voyages, des images.

Enfin et surtout, une bonne part de la beauté du film repose sur la manière de mettre en scène les livres. La quête du protagoniste consiste en l'analyse de gravures anciennes dont certaines sont
authentiques et d'autres falsifiées. Des images qui accompagnent un texte mais n'ont pas seulement valeur d'illustration (tiens tiens, ça ressemble à de la bande dessinée, ça) et constituent à
elles seules les portes que cherche le protagoniste...
Bref, j'aime ce film parce qu'il parle de livres, qu'il a l'atmosphère d'une BD, et puis tout simplement parce qu'il est très beau et qu'il ne se résume pas à sa dernière scène.



 



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des cartes blanches estivales 2011































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4 commentaires:

  1. Je ne l'ai pas vu, mais ta critique donne envie !

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  2. Tout à fait d'accord avec toi ; j'aime beaucoup ce film, très soigné par sa direction d'acteurs, son jeu, les différentes atmosphères qui s'en dégagent...

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  3. Tout à fait d'accord moi aussi avec cet article. Le film ne se résume certes pas à sa dernière scène mais comment peut-on parler de cette oeuvre sans mentionner le générique qui est un moment de
    grande jouissance esthétique ? On entre dans une espèce de mise en abyme par une série de portes qui s'effacent au fur à mesure que l'on avance. Sans parler bien sûr de la portée symbolique du
    thème de la porte dans un film où une énigme doit être dénouée au bout d'une série d'épisodes qui sont autant de portes que l'on pousse.

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  4. J'ajoute mon pseudo au club (Dumas), semble-t-il restreint, des ardents défenseurs de ce film qui exige du spectateur, comme la plupart des films de Polanski, qu'il lise entre les lignes.

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