samedi 6 août 2011

[Carte blanche] Le labyrinthe de Pan, de Guillermo Del Torro (vu par la Méduse)


Sur son blog, la Méduse aborde avec force et conviction le féminisme et tout ce qui a trait aux questions de genre. Elle nous offre
généreusement des comptes-rendus de ses nombreuses lectures ou des conférences auxquelles elle assiste et pose par là même de nombreuses questions sur la façon d’envisager les sexes, les genres,
le corps, la sexualité, le militantisme ou plus largement la tolérance à travers le prisme de nos sociétés… Denses, précis et documentés, ses billets se révèlent bien souvent passionnants ! Elle
n’en oublie pas pour autant le cinéma, notamment dans un article où elle en vient à nous faire
douter des apparences « féministes » de la saga « Terminator »
… Pour sa carte blanche chez Phil Siné, elle nous fait partager toute son émotion à la vision du « Labyrinthe de Pan », à travers
une analyse médusante et toute personnelle, à un moment d’ailleurs de grand changement dans sa propre existence. En espérant toutefois de tout cœur que sa nouvelle vie ne l’empêchera pas de
reprendre bientôt la plume sur son joli blog…



carte blanche
labyrinthe de pan



Le labyrinthe de Pan, de Guillermo Del Torro (Etats-Unis, Espagne, Mexique, 2006)



Carte blanche de la Méduse



Blog : La méduse fait son tas



 



La Méduse dans le labyrinthe



 



Il y a peu de films que j'ai vus deux fois de suite au cinéma. De ces films qui me font écarquiller les yeux, qui me gonflent comme une baudruche d'émotions trop grandes pour moi.
Le Labyrinthe de Pan en fait partie.

On ne peut pas s'identifier à tous les personnages de fiction. Certains/certaines seulement nous sont assez proches pour qu'on puisse se glisser sous leur peau et derrière leurs yeux ;
certaines/certains nous parlent, à nous, intimement, et de certaines/certaines on tombe amoureux/se. Pour de vrai.
Le personnage principal du film de Guillermo Del Torro est une enfant. Une petite fille.

Espagne, 1944. Âgée d'une dizaine d'années, Ofelia s'installe dans une garnison dirigée par celui que sa mère vient d'épouser et dont elle porte l'enfant, un capitaine de l'armée franquiste. Les
résistants ont pris le maquis. Le beau-père incarne toute la brutalité et la sauvagerie du fascisme – cruel, haineux - il est effrayant. Une fée (qui rappelle plus les criquets et les
mantes religieuses que la fée Clochette) guide la petite fille vers un vieux labyrinthe, dans le jardin, où elle rencontre un faune. Il la soumet à trois épreuves qui, si elle les surmonte, lui
ouvriront la porte d'un monde magique. Un monde opposé au monde humain, ici particulièrement sombre. (« Le monde n'est pas un conte de fées, le monde est cruel », assène Carmen.)

L'Histoire et le fantastique se mêlent donc dans ce récit, où Franco côtoie Pan. Il s'agit bien d'un conte : « Il y a très, très longtemps » sont les premiers mots du film, et au-delà des fées,
des monstres, des livres et des craies magiques, les personnages se dressent en deux camps opposés, les bons contre les mauvais. Mais quand de nombreux contes traditionnels font des personnages
féminins les premiers prix de la loterie (« le roi promit sa fille à celui qui... »), des proies, des choses vides fragiles délicates impuissantes, d'unidimensionnelles mères, épouses, ou
accessoires, le film de Guillermo Del Torro, lui, se déploie comme un vibrant et flamboyant conte féministe.

Les différents personnages féminins incarnent différentes positions face à la violence. Violence d'un homme, violence de la guerre ; violence du fascisme, violence de l'assignation et de la
domination de genre.

Le personnage de la mère, Carmen, est l'infirme qu'on ampute, qu'on blesse, qu'on meurtrit, qu'on rend impuissante enfin au moyen de sa féminité : toutes les armes qu'on tourne contre elle et par
lesquelles on l'atteint ont trait au fait qu'elle est une femme.
Enceinte, d'une grossesse qui lui fait mal, qui la rend impotente, et qui la tuera. Elle pose le pied sur le sol du « mari » (son nouveau mari, l'homme qui se l'approprie) : aussitôt il lui
impose le fauteuil roulant ; elle commence par refuser, puis cède. Premier acte du mari : transformer Carmen en infirme. Elle passera tout le film dans ce fauteuil, avant de crever dans le sang
et les cris.
Carmen n'est pour son mari qu'un ventre, un ventre à porter des mâles. (« S'il faut choisir, sauvez l'enfant, il portera mon nom et le nom de mon père. ») Rendue si faible (pas par la nature,
mais par un homme), la mère d'Ofelia n'a d'autre choix que de se faire esclave. L'usure, l'épuisement puis la capitulation quand on ne trouve pas la force de tenir seule debout. Se vendre.
Détruite.
Et la petite de déclarer, quand Mercédès lui chuchote que « c'est parfois compliqué d'avoir un bébé » : « alors j'en aurai jamais ». Poings serrés.

Mercédès, autre figure de femme, magnifique, grandiose ; la lutte, le courage, le front qui tient bon, qui tient fort. La résistante debout.
Quand elle est découverte, capturée, affublée comme un gigot qu'on s'apprête à torturer, elle lance à son tortionnaire qui se fend d'un « ce n'est qu'une femme » : « c'est ce que vous avez
toujours pensé, c'est pour ça que j'ai pu rester ici » ; et quand elle se défend, c'est avec un couteau - arme éminemment phallique ; c'est au corps à corps, et avec une sauvagerie entière et non
entamée, en gueulant : « je ne suis pas un vieillard, je ne suis pas un infirme ! »
Elle entaille le visage de l'homme, pour lui dessiner ce sourire effrayant que le tueur masculin du Dahlia Noir découpait sur ses victimes féminines.
Quand elle est prise en chasse et se fait encercler par une armée de fascistes, elle commence par tourner son couteau, son arme minuscule, vers les autres ; et quand devant les fusils elle
réalise que cette menace pèse de peu de poids, elle retourne le couteau sur elle, sur sa gorge, ultime façon de lutter, de résister -  traditionnellement virile : « Arrête ça ma belle, si
quelqu'un doit te tuer c'est moi », ricane l'un de ses ennemis (et non, pourtant...)

Dans ce conte-ci l'héroïne est bien une fille, et qui ne se limite pas à être crétine et se faire bouffer par un loup : c'est une véritable aventurière. Cette princesse-là n'est pas
gracieuse et délicate.
La petite Ofelia n'a que faire des jolies robes-carcans, des rubans, des chaussures vernies. Elle sait affronter d'abominables peurs primales, elle se traîne dans la boue, dans la merde, le vomi
et les glaires de crapaud ne l'arrêtent pas ; elle rampe, elle avance, elle tient et ne lâche pas. Dans le ventre de l'arbre, les cloportes escaladent ses bras et ses jambes, viennent zigzaguer
sur ses joues de petite fille ; son courage me coupe le souffle. Elle ne s'enfuit pas devant cette terrifiante créature décharnée sortie de mes pires cauchemars.

Les livres et les mondes qu'ils renferment sont pour Ofelia un moyen de résister,  à la noirceur de ce monde humain, au fascisme (qui exalte le « grand air » et la rigidité froide des
montres mécaniques), mais aussi au dressage à la féminité. Ofelia boude ses toilettes soyeuses, la tête dans ses contes de fées. Quand sa mère lui promet une surprise, ses yeux brillent : « un
livre ? » Non, une robe – dont elle n'a pas grand chose à secouer. Elle ne sera pas la petite fille sage et soignée qu'on veut la contraindre à devenir.

Tellement d'autres choses que j'ai aimées dans ce film - je pourrais écrire ici que j'ai tout aimé, en bloc, qu'il porte avec ses couleurs ses musiques la chanson de sa langue des valeurs qui
résistent, des valeurs droites, auxquelles je veux coller - un courage ineffable, le courage d'Ofelia, de Mercédès, du médecin, du bègue.

Une vague d'émotions puissante qui me tient au ventre.
(Je t'aime Ofelia. Je suis avec toi, et je veux être un peu de toi.)

Ça me donne du courage pour ma vie comme si j'avais rencontré des vrais gens. Pas pour se masturber avec des expressions vaseuses, mais pour de vrai, qui flirte avec des choses sérieuses : en
vérité crue, quand j'ai un cafard noir qui me ronge les os de la tête, penser à Ofelia me remet d'aplomb, me redonne.... des choses utiles : de la joie, de la force.

Que ces mondes-là existent et qu'ils soient beaux, une île de réalité qui consiste en elle toute seule, un éclat, une ressource.
Des frères et des sœurs.



 



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1 commentaire:

  1. Hep, la Méduse est mon amie !!


    @laMéduse : Je ne connaissais pas l'histoire de ce film. Ton texte est très beau. A côté je ne suis qu'une midinette. (cf ma carte blanche..)

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