vendredi 22 juillet 2011

[Critique schizo] Melancholia, de Lars Von Trier



melancholia



Melancholia, de Lars Von Trier (Danemark,
Suède, France, Allemagne, 2011)



Sortie nationale le 10 août
2011



Note : Phil Siné n'est pas d'accord avec
lui-même...



 



La mélancolie filmée par un dépressif, ça donne « Melancholia » de Lars Von Trier
et une drôle de sensation en sortie de projection… Difficile en effet de cerner tout de suite ce que l’on a pensé de la bobine : si l’on reconnaît très vite au film des qualités et une
intelligence propre au grand cinéma, on ressort cependant d’une pareille épreuve complètement vidé… L’expérience est forte, mais douloureuse. J’ai donc décidé de traiter du film par le biais
d’une critique éclatée et paradoxale, en bon schizophrène que je suis… Une chronique finalement à l’image de ce que le cinéaste pense lui-même de son œuvre désormais, forcément ambiguë :
"J'ai travaillé sur ce film pendant deux ans. Avec grand plaisir. Mais je me suis peut-être fait des illusions. Je me suis laissé tenter. Ce n’est pas que quelqu’un ait commis une erreur… au
contraire, tout le monde a travaillé loyalement et avec talent pour atteindre le but que moi seul avais défini. (...) Néanmoins, je me sens prêt à rejeter ce film comme un organe transplanté par
erreur."



 



CONTRE
attention.gif

star.gif



 



Il est tout d’abord amusant de constater que deux cinéastes contemporains majeurs (et tous
les deux en sélection officielle à Cannes) s’attaquent la même année à décrire le spectacle cosmique dans sa relation à la vie sur Terre, à travers d’incroyables fulgurances visuelles. Mais tous
deux proposent pourtant un travail que l’on peut renvoyer dos à dos, puisque le premier, Terrence Malick, décrit la naissance de l’univers et le « miracle » de la vie dans
« Tree of life », quand le second, Lars Von Trier, se rit plutôt de la
fin du monde et de la désespérance intrinsèque à l’existence humaine dans « Melancholia ». A chaque fois perce un message extrêmement modeste sur la fragilité et l’insignifiance de
l’homme au sein de son environnement, paradoxalement filmé non pas de façon « prétentieuse », mais bel et bien « monumentale » ! On peut s’amuser également à opposer à
travers ces deux réalisateurs deux visions purement géographiques et idéologiques de la vie sur Terre : l’une pure et naïve incarnée par l’américain Malick, l’autre contaminée et cynique
représentée par l’« européen » Trier…



 



Tout cela est bien beau, certes, mais là où Terrence Malick parvenait à exalter la grâce à
chaque plan, Lars Von Trier semble au contraire retenir son film dans les affres noirs de ses béances crasses. Avec beaucoup de maîtrise, c’est indéniable, mais la vision de
« Melancholia » n’est demeure pas moins un vrai calvaire pour son spectateur… Visiblement pas encore tout à fait sortie de sa propre dépression, le cinéaste danois l’étale sur chaque
image de son film, lui conférant une sourde pesanteur, languide et neurasthénique. On est ainsi très surpris de ce quasi « sur-place » que propose le long métrage, et l’on en vient à
regretter la surexcitation et les excès visuels du Lars que l’on avait tant aimé dans le passé, d’« Element of crime » à « Manderlay ». Ici, la « mélancolie »
emporte tout, y compris le spectateur : c’est de toute évidence volontaire, mais il faut savoir le supporter, et surtout accepter de broyer du noir ou d’avoir de folles envies de se
défenestrer après la projection. Petits êtres sensibles s’abstenir, donc !



 



Pourtant, la mise en scène épileptique du réalisateur est toujours là. Mais elle ne vient
jamais à bout du huis-clos imposé (tout le film se déroule en un même lieu, et au cours de deux journées non consécutives), ni de la noirceur prégnante au sein de tous les personnages, auxquels
il devient foncièrement impossible de s’attacher. Découpé en deux parties (précédées d’un prologue « cosmique »), « Melancholia » s’attache dans chacune d’elle à deux sœurs,
aux tempéraments opposés qui finiront pourtant par se rejoindre…



 



POUR
star.gif

star.gif

star.gif



 



C’est peut-être justement dans sa façon d’appréhender ses personnages que le film se révèle
le plus passionnant. Justine (stupéfiante Kirsten Dunst, récompensée par un Prix d’interprétation à Cannes), vers qui tend toute la première partie, fête son mariage et sa réussite
exemplaire : tout va bien pour elle et le monde a l’air de lui tendre les bras… Assez mystérieusement pourtant, on la voit gâcher en quelques heures ce qu’elle a pourtant du mettre si
longtemps à construire : c’est très exactement au climax de son existence et de ce qui aurait du être son bonheur le plus ultime, qu’elle pète finalement les plombs et détruit tout en
faisant absolument n’importe quoi ! Est-ce toute l’aigreur de tous ceux qui gravitent autour d’elle (on retient l’ironie tout en désillusion du personnage de Charlotte Rampling) ou plus
simplement le constat que le bonheur absolu n’existe pas à l’intérieur de soi malgré les signes extérieurs de joie, forcément conventionnels, toujours est-il que Justine s’enfonce lentement mais
sûrement dans une profonde tristesse mélancolique…



 



On la retrouve complètement apathique et dépressive dans la seconde partie, qui se déroule
peu après le mariage raté et s’oriente alors vers sa sœur Claire (magnifique Charlotte Gainsbourg). On apprend assez simplement qu’une gigantesque planète fond inexorablement sur la Terre,
risquant de détruire en un éclair notre planète et toutes les vies qu’elle « supporte » par la même occasion : symboliquement, cette menace astrale représente bien entendu l’état
de faiblesse morbide dans lequel se morfond Justine, et bien au-delà tous les vivants qui ont abandonné tout espoir de réenchantement du monde… Claire incarne quant à elle un contrepoint à toute
cette mélancolie : elle est anxieuse, mais possède encore la force de dénier la fin du monde annoncée. Mère d’un jeune enfant, elle pense ainsi encore à l’autre, qu’elle doit protéger, et
n’est pas encore anéanti par la désespérance de la solitude…



 



Mais la mélancolie, qu’elle soit celle de Justine ou de la planète bien nommée, finit par
tout englober, comme par une inéluctable contamination. Claire finira par rejoindre sa sœur dans l’acceptation des choses telles qu’elles sont et dans l’anéantissement du monde, contre lequel on
ne peut plus lutter. C’est finalement la force du mélancolique, c'est-à-dire accepter la vérité nue, chose qu’exprime très bien Lars Von Trier lui-même : "Dans les situations
catastrophiques, les mélancoliques gardaient plus la tête sur les épaules que les gens ordinaires, en partie parce qu’ils peuvent dire : ’Qu’est-ce que je t’avais dit ?’ Mais aussi parce qu’ils
n’ont rien à perdre."



 



Le cinéaste filme alors magnifiquement le processus de résignation. Loin des visions
d’apocalypse hystérique et branchée que nous propose d’habitude le cinéma hollywoodien, « Melancholia » en prend le parfait contrepoint et s’impose finalement comme une sorte d’antidote
à la folie collective. Durant deux bonnes heures, on reste ici isolé dans une propriété privée, où se sont enfermés un petit nombre d’individus pour attendre sagement la fin des temps. Dans un
château entouré d’un immense golf, lieu autant ludique que protecteur, les personnages n’ont plus le moindre contact avec le reste des hommes. Lars Von Trier y laisse languir les derniers
soubresauts de la souffrance humaine, sonde une dernière fois les affects et le cœur évidé des hommes, explore de façon viscéral et clinique l’âme, que l’on juge pourtant d’habitude comme
évanescente et insaisissable… Il réussit en outre quelques fulgurances visuelles magistrales pour illustrer l’apaisement et la quiétude de la fin qui approche pour nous délivrer : on retient
notamment le plan final de ces trois personnages isolés dans un triangle (une trinité au carré ?), attendant sagement assis d’être emportés par le souffle de l’apocalypse, ou encore cette
autre vision onirique dans laquelle Justine, allongée au bord d’une rivière, s’offre entièrement nue à l’astre destructeur qui dévore peu à peu le ciel… Un peu comme si le cinéaste nous
abandonnait « au clair de la Mélancolie » avec des images absolument saisissantes de la planète ainsi nommée ! Et si c’est cela l’« esthétique nazi » sur lequel une
idiote de journaliste interrogeait Lars Von Trier lors du dernier Festival de Cannes, alors moi aussi je comprends parfaitement la sensibilité d’Adolf Hitler…



 



Avec « Melancholia », on dénote enfin l’inspiration largement romantique du
réalisateur danois. Un romantisme allemand où se fondent les influences d’un Wagner, d’un Visconti et de tout le tralala… Mais on pourrait y ajouter également une touche d’un des plus grands
cinéastes contemporains, malheureusement pas reconnu à la juste valeur de son remarquable travail : Laurent Boutonnat. Dans une recherche déjà amorcée avec « Antichrist », dans
lequel s’insinuait délicatement l’atmosphère glauque et morbide de « Giorgino » ou des premiers clips de Mylène Farmer (on y retrouvait d’ailleurs la
forte thématique animalière, avec de la biche, du renard et du corbeau), « Melancholia » file cet héritage parfaitement inattendu et que nombre de cinéphiles renieront honteusement,
plus par ignorance que par connaissance légitime d’ailleurs. Mylène Farmer ne chantait-elle pas justement dès 2005, sur des airs typiquement boutonniens, le sujet très exact du nouveau film de
Lars Von Trier : « Tous ces combats / Qui brisent insouciance / Mordent l’existence / J’ai la MELANCHOLIA / Qui rend l’âme à nue / Qui me constiTUE… » On rêverait presque tout à
coup d’un nouveau « Dancer in the dark », avec une Mylène en lieu et place de Björk !



 



Mise en perspective :



- Festival Paris Cinéma 2011 # 5



- The tree of life, de Terrence Malick































  • Plus










17 commentaires:

  1. Belle critique qui rend impatient de découvrir l'oeuvre !

    RépondreSupprimer
  2. Mouarf la référence à Mylène ! D'ailleurs j'ai failli appeler ma chronique "Quand tout est gris, la peine est mon amie", tiens donc...
    Bon, sinon sans t'avoir lu avant j'ai quasiment le même avis que toi, enfin que ton deuxième toi. Pour moi c'est un grand film superbement maîtrisé.

    RépondreSupprimer
  3. Quand même ce point d'interrogation, ce serait pas pour entretenir un petit suspense ? Une ruse du bloggeur que tu es ? Finalement tu sembles aimer cette noirceur, cette mélancolie. Bon ben
    j'irai plutôt voir Submarine qui passe dans mon coin.

    RépondreSupprimer
  4. "Petits êtres sensibles s’abstenir, donc !" > j'aurais mieux fait de lire la critique avant d'y aller ! J'ai
    très mal supporté ce "calvaire" pour ma part, j'étais à deux doigts de sortir de la salle et vraiment, avec la conviction renforcée que je n'ai aucun goût pour ce cinéma.


    Et puis je suis pas fan des symboles trop évidents (ça me donne l'impression qu'ils sont forcés, qu'on écrit pour eux),
    et des références (pourquoi ?), voire de la découpe des personnages (psychose/névrose),... enfin tout ça vient surtout du fait que j'ai eu du mal à le supporter aussi remarque.

    RépondreSupprimer
  5. LA référence à Giorgino fait peur... très peur...lol

    RépondreSupprimer
  6. Bonjour Phil, je vais essayer d'aller le voir pour me faire une idée sur ce film qui m'intrigue. Je n'ai vu aucun LVT depuis Dogville (que j'avais adoré). Bonne après-midi.

    RépondreSupprimer
  7. Euh... WAT ? Ya un truc que je ne comprends pas, le rapprochement avec les clips de Mylène Fermière entre dans les POUR !?

    RépondreSupprimer
  8. Ben voilà, j'en sors, ça a été mon premier Von Trier (si vraiment)(mais les scènes de viol m'ont toujours fait peur chez lui)(et j'ai tenu vingt minutes dans "The Direktor"). Whouah, j'ai été
    complètement soufflée, quelle claque je me suis prise avec ce film. J'ai a-do-ré. J'essaie de m'en remettre là, je pensais regarder un p'tit film en rentrant avant d'aller dormir, mais impossible
    après ça. Je dois dire que "Tree of life" ne m'avait pas fait cet effet-là. Il m'avait touchée esthétiquement mais pas du tout émotionnellement.


    Tu sais qu'il y a un autre film avec une histoire "dans le style" qui doit sortir? "Another Earth", que j'attends avec impatience: http://www.imdb.com/title/tt1549572/

    RépondreSupprimer
  9. Je vois qu'on a vu à peu près les mêmes points positifs et négatifs au film. Le parallélisme avec Boutonnat et Mylène Farmer n'est pas faux, même si je suis pas assez expert pour débattre !

    RépondreSupprimer
  10. Si je connais un peu Trier pour m'avoir profondement ennuyé avec Dogville (c'est a vrai dire ça mise en scène théatrale qui m'a dégouté à l'époque ou j'etais surement trop jeune pour comprendre),
    je le découvre totalement à travers ce film puissant, possédant quelques petites longueurs, mais finalement bien plus emballant qu'un Tree of Life car plus équilibré et bien mieux construit.


    Très belle critique qui réflète un peu mon état d'ésprit au début du film (je m'attendais à ce qu'un dinosaure passe à l'écran).

    RépondreSupprimer
  11. Ce qu'on lit pas parfois ! LVT réussit enterrer pronfondément le pensum métaphysique de Malick avec son inregardable "Melancholia" (qui tient ostensiblement à démontrer qu'il est le maître
    absolu de la caméra parkinsonienne). Je trouve d'aillleurs le "pour" de cette chronique encore bien douceureux au regard du supplice danois qui ma été infligé durant deux heures et douze minutes
    !  LVT a au moins eu l'éclair de lucidité de reconnaître que son film était peut-être mauvais. Quelqu'un aurait peut-être pu le prévenir avant qu'il le sorte sur les écrans, ça m'aurait
    économisé une migraine. Autant dire que je n'ai pas hâte de voir son prochain forfait qui s'annonce, selon ses dires, comme un mélange sadien de "philosophie, de bites et de sodomies"
    ! Sûr qu'il ne m'aura pas ce coup-là.

    RépondreSupprimer
  12. rominou (le vrai)22 août 2011 à 04:05

    Un film qui donne envie de découvrir Wagner... C'est moi où Lars Von Trier s'est quand même bien assagit? Il semble ne plus vouloir ecorcher vives toutes les femmes de la terre, c'est positif. Du
    coup, on s'ennuie quand meme un peu devant cette Melancolie, peut etre que je m'attendais à retrouver la perversion des autres films que j'ai vu de lui. (et Kirsten Dunst a une plastique
    d'enfer).

    RépondreSupprimer
  13. Aie !


    Giorgino et les paroles de Mylène Farmer c'est juste PAS POSSIBLE ! J'étais pourtant d'accord avec ton deuxième toi (lol) à fond : moi-même, c'est un film qui m'a emporté et je n'ai pu m'empêcher
    d'écrire une critique sur mon blog dès mon retour du cinéma ... Mais arrivé à la fin de ma lecture de ton article, j'ai juste halluciné sur ta référence à Mylène Farmer et Giorgino : non, ce
    n'est pas honteusement que j'ignore cette référence : Mélancholia de VonTrier est à Giorgino ce que le Crillon est aux EtapHotels !!!!


    Bon, le côté fan est touchant... Tu dois attendre le prochain film " l'ombre des autres de la rouquine avec impatience lol

    RépondreSupprimer
  14. Je suis dans l'hémisphère cérébral contre :p Intéressant exercice qui prouve qu'on peut défendre ou rabaisser un film selon l'approche.

    RépondreSupprimer
  15. Un film tout simplement magnifique. Peu importe les erreurs de LVT, la beauté des images, la justesse des actrices et la plongée dans la dépression en font un chef d'oeuvre. Sans doute que
    qui n'a pas été touché par un épisode dépressif ne peut comprendre les troubles de l'héroine. Pour ma part, et paradoxalement, ce film m'a fait me sentir bien.

    RépondreSupprimer
  16. oui comme pour moi : les spectacles de fin du monde m'apaise... comme une délivrance, enfin ! :)

    RépondreSupprimer