vendredi 10 juin 2011

[Critique] Shining, de Stanley Kubrick



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Shining, de Stanley Kubrick (Grande-Bretagne, 1980)



Note :
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Si Stephen King, l’auteur du roman dont le film s’inspire, cria à la haute trahison à la vue de cette adaptation, il n’empêche que Stanley Kubrick livre avec « Shining » un véritable « modèle »
du film d’horreur, qui servit probablement de base à tout un pan du cinéma de genre qui proliféra dans les années 80…

Si comme l’écrit Baudelaire : « créer un poncif, c'est le génie », alors « Shining » est extraordinairement pourvu en génie ! Il se présente en effet comme l’archétype parfait du film
d’épouvante, dont la plupart des figures, qui furent à l’époque inventées, sont aujourd’hui devenues des clichés archi rebattus… Mais attention, pas n’importe quel film d’épouvante : pas celui
qui privilégie les dérives sanguinaires à la psychologie, mais plutôt celui plus cérébral où l’horreur vient de l’intérieur. Et pour atteindre la pure angoisse, Kubrick a inventé les « pires »
effets, atteignant ainsi la forme absolue du cinéma anxiogène ! Rien que la bande sonore demeure exemplaire : exagération des bruits, stridences superfétatoires, nappes sonores enveloppantes et
bien angoissantes, musique poussive… A cela s’ajoute les excès d’une mise en scène et d’une direction d’acteur basés sur l’outrance la plus incroyable, qui alignent pour le coup les séquences
typiquement cultes ! On retient notamment les hurlements de Shelley Duval, les tics de Jack Nicholson ou les airs possédés de l’enfant… L’exploitation d’un gamin, justement, au cœur d’un film
d’horreur, demeure un argument redoutable et efficace de la terreur : le mystérieux mot « redrum » prononcé « ad libidum » et hystériquement par un petit garçon, avec la voix possédée (limite «
L’exorciste ») de son « ami imaginaire », a vraiment de quoi fiche les jetons ! Surtout lorsque l’on comprend la signification du mot dans le reflet d’un miroir, « redrum » renvoyant à « murder
»… Le miroir, d’ailleurs, qui lui aussi a une importance effroyable dans un film comme « Shining » : il est symbole d’inversion tout autant qu’une porte grande ouverte sur le monde des rêves et
du cauchemar, qui conduit bien souvent à la folie…

Car le fantastique, dans « Shining », n’est pas seulement construit autour de divers phénomènes surnaturels, comme le don de l’enfant à percevoir des choses atroces ou des histoires de fantômes
et de cimetière indien, dont Kubrick dira lui-même qu’elles rendent le film plein d’espoir, étonnamment : « Shining est un film optimiste. C'est une histoire de fantômes. Tout ce qu'il dit c'est
qu'il y a une vie après la mort, c'est optimiste ». L’horreur la plus visible est ainsi atteinte par la pure folie du personnage de Nicholson : Jack Torrance… Tout le film est d’ailleurs
construit comme un étau qui se resserre autour de lui : plus le film avance et plus le temps s’accélère (des cartons indiquent d’abord des ellipses de plusieurs mois, puis énumèrent l’écoulement
des jours, et enfin des heures dans la dernière partie du film, absolument haletante). Mais c’est aussi l’espace qui se réduit sur lui : aux plans de paysages immenses vus du ciel du début du
film répondent ceux de l’intérieur de l’hôtel où la famille Torrance va passer tout l’hiver dans l’isolement le plus radical… Corrélation possible de cet isolement, on sent la schizophrénie la
plus démente gagner progressivement l’esprit de Jack, à travers notamment ses visions d’anciens « habitants » de l’hôtel, qui le poussent à vouloir tuer sa famille à la hache. Dans une scène
mythique, sa femme découvre sa folie en parcourant le manuscrit du roman qu’il est censé avoir bien avancé mais sur lequel n’est répété à l’infini qu’une seule phrase absurde : « All work and no
play makes Jack a dull boy », assez tristement traduite en français entre parenthèses…

« Shining » se révèle alors comme un voyage au plus près de la folie intérieure de l’homme… Et la figure du labyrinthe, qui hante le long métrage de bout en bout, est d’une pertinence presque
limpide, tant cette figure illustre à merveille les circonvolutions du cerveau de Jack Torrance, dans lesquels il finit par se perdre lui-même… Deux séquences hanteront à ce propos à tout jamais
l’esprit des spectateurs de « Shining » : d’une part les errances sans fin du petit garçon parcourant les couloirs sinueux de l’hôtel sur son tricycle, d’autre part la poursuite sous la neige du
même petit garçon par son père armé d’une hache dans le labyrinthe en haies végétales à l’extérieur de l’hôtel… Les deux scènes, construites en longs travellings inquiétants, utilisent d’ailleurs
une même technique dont le film est devenu le modèle incontestable : un filmage en steadycam… La caméra se paie même le luxe de raser le sol, rendant la tension plus palpable encore ! Rien que
pour ça, « Shining » demeure un pur chef d’œuvre de mise en scène, dont le souci de la maîtrise et de la perfection est devenu légendaire…



 



Mise en perspective :



- Exposition : Kubrick à brac ! (à la Cinémathèque française)



- Les sentiers de la gloire, de Stanley Kubrick



- Lolita, de Stanley Kubrick































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9 commentaires:

  1. Pfffffffff, kubrick, Lynch, tout c'que j'aime pas...

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  2. Mon Kubrick préféré (et la preuve que je peux aimer une adaptation par Kubrick qui n'est pas fidèle au livre)(mai qui, au moins ici, en respecte l'essence ;-p)(et qui est un foutu bon film,
    beaucoup plus intéressant cinématographiquement parlant que "Lolita" je trouve).

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  3. Une certaine maîtrise évidente, une histoire assez flippante, mais un gros passage à vide vers la fin du deuxième tiers du film.

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  4. D'un plan d'hélicoptère sinueux et glacial à une photo de famille d'un autre temps : l'alpha et l'oméga du film-cerveau selon Kubrick.

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  5. Le labyrithe je le voyait plus comme une illustration mythologique de la situation dans laquelle sont enfermés les personnages, Torrance étant bien sûr le Minautore.


    Pour moi, c'est un film qui a deux lectures : la premiere, celle que tu analyse brillament, c'est l'horrreur et l'angoisse. Mais la deuxiéme, c'est une comédie humaine, un opera baroque (en
    temoigne la musique) ou, comme tu le soulignes, tout est excessif. Il en demeure un excellent exercice de mise en scène assez jubilatoire est inégalé aujourd'hui.

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  6. Jack Nicholson dans une des plus grandes démonstrations du cinéma. Jouer cette descente dans la folie, minute par minute, seconde par seconde c'est tout simplement inhumain, gigantesque. Je crie
    haut et fort CHEF D'OEUVRE ! 20/20

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  7. Je me dois de rendre à Deleuze ce qui appartient à Deleuze.

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  8. Maitrise de la mise en scène, je valide carrément. C'est un film tourbillon et reflet, qui est construit de façon très habile. Pour Shelley Duvall je sais toujours pas si c'est la pire
    des actrices ou la meilleure des "blondes de film d'horreur" ^^

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  9. peut-etre bien les deux, en fait... ;)

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