jeudi 19 mai 2011

[Critique] The tree of life, de Terrence Malick



tree_of_life.jpg
festival cannes 2011



The tree of life, de Terrence Malick (Etats-Unis, 2011)



Sortie le 17 mai 2011



Note :
star.gif

star.gif

star.gif



Palme d'or au Festival de Cannes 2011



Au nom du Père et du Vélociraptor...




Longtemps attendu, le nouveau film de Terrence Malick sort enfin dans les salles et s’impose exactement comme ce qu’il prétend être : une sorte de « film somme », pour ne pas dire de « film monde
», capable de condenser en une seule œuvre toutes les connaissances humaines, voire même un peu plus encore… Le spectacle de la vie et de l’origine du monde y est puissamment exposé, au gré d’une
narration surprenante et audacieuse, basée avant tout sur la sensation plutôt que sur la compréhension. On en sort tout ébouriffé, essoufflé, apaisé, à la fois tout plein et tout vide… partagé en
somme entre des tendances parfois opposées !

Ce qui saute aux yeux de prime abord dans « The tree of life », c’est la capacité de son réalisateur d’exploiter avec autant de talent et d’intelligence la matière cinématographique même : son
film représente parfaitement tout ce que doit être le cinéma, laissant de côté l’histoire pour privilégier la recherche de l’émotion pure et d’un état de grâce qui parviendra à emporter et à
bouleverser le spectateur ! Il paraît que le scénario du film, écrit par Malick en personne, ressemblait d’avantage à un long poème qu’à un script traditionnel : l’ensemble du long métrage peut
être d’ailleurs « éprouvé » d’abord comme une ballade ou une élégie… La force des images que le cinéaste met en scène possède une grandeur et une puissance rarement égalée auparavant : du
big bang au big crunch, la caméra offre à contempler une cosmogonie riche et admirable ! Submergé par la beauté, le spectateur se laisse très vite envoûter par les jeux de contrastes, d’unions et
d’oppositions du film : les extrêmes et les opposés se mêlent et toutes les forces s’unissent… L’infiniment grand et l’infiniment petit se rassemblent en un grand tout par la grâce d’un montage
habile et percutant ! L’intime et l’extime se fondent en un seul mouvement… Les forces de la nature sont une fois de plus exaltées dans ce cinéma typiquement malickien : les quatre éléments
s’embrassent constamment par des enchaînements de plans, qui semblent jouer à l’infini avec les correspondances, les formes et les sens…

Les sens, justement. « The tree of life » lance un appel permanent à tous les sens de ses spectateurs : c’est une fois encore la force et la magie du cinéma que l’on voit ici à l’œuvre ! Le film
raconte sur le même plan la grande et la petite histoire, soit la naissance de l’univers et la vie sur terre. Mais cette vie sur terre, il la réduit à celle d’une famille dans les années 1950…
Plus subtile encore : cette vie de famille n’est entrevue que par le prisme déformant des souvenirs et des réminiscences incertaines d’un homme qui de nos jours se souvient de son enfance… Enfin,
« de nos jours » est un bien grand mot : toutes les époques, toutes les échelles de grandeur se fondent dans un grand tout au fil du film, qui se construit et se déconstruit à l’infini… Tout
paraît alors finir par se valoir ! Les certitudes défaillent, la vanité de l’homme se fait jour à tout bout de champ, et seule la sensation demeure… On se sent fragile, un petit rien parmi tant
d’autres petits riens qui composent un grand tout… On est plus que jamais bluffé par la puissance du génie de Malick qui en si peu de plans parvient parfois à nous dire énormément de choses, si
ce n’est « tout », justement ! La répétition d’un même plan trois fois lui suffit à évoquer le temps qui passe… De même ces scènes merveilleuses qui commencent dans un lieu et s’achèvent dans un
autre : le temps, les lieux, les espaces… le cinéma de Terrence Malick abolit toutes les frontières !

Il dirige ses acteurs avec tout autant d’originalité et de mystère… Les scènes de dialogues sont réduites au minimum, tout le reste est encore affaire de sons, de bruits, de gestes, de
comportements… Les personnages sont alors « incarnés » plus que simplement « interprétés » ! Ils « habitent » ainsi les corps de Brad Pitt, de Sean Penn ou de Jessica Chastain, une très jolie
découverte… Les enfants possèdent aussi une façon de jouer assez intense et remarquable !

Si l’on pourra reprocher au cinéaste un symbolisme parfois appuyé, ce serait cependant un contresens de l’accuser de livrer une œuvre trop « religieuse »… Mystique, « The tree of life » l’est
certainement, mais ses citations bibliques ne sont que culturelles… De même que l’éducation infligée aux enfants par la famille archétypale proposée à l’écran ! Une éducation dont on observe
finalement l’échec… Et puis rappelons surtout que Malick convoque la science tout autant que Dieu : sa description de la formation de l’univers et de l’origine des espèces, avec notamment des
animations de dinosaures tout bonnement saisissantes, en est une preuve irréfutable ! Comme dans tous ses films, il est ici question des forces de la nature et de la faculté de l’homme de tendre
à l’unité avec elles, bien plus que d’une quelconque perspective divine… Son mysticisme est définitivement philosophique, à grosses tendances métaphysiques aussi !

Inépuisable, « Tree of life » explore encore de nombreuses autres perspectives et il serait probablement voué à l’échec de prétendre en faire le compte rendu exhaustif ! On pourra cependant noter
encore ses aléas freudiens (l’enfant surpris par le désir qu’il éprouve pour sa mère finira par vouloir tuer le père) ou sa dénonciation implacable de la société de consommation, qui nous a
conduit à l’égoïsme le plus triste qui soit : les scènes mettant en scène Sean Penn dans une mégalopole où les gens se frôlent sans se parler, au sein d’immeubles à la froideur et à la raideur si
menaçante…

La vie, la mort, l’univers, Dieu, Einstein, le vertige, la nature, le chaos… Terrence Malick finit par être pris au piège de tout ce qu’il cherche à embrasser à la fois : à vouloir absolument
tout dire, il doit se rendre à l’évidence qu’il ne le peut pas, dans la mesure où la connaissance humaine elle-même, par nature limitée, n’y parvient pas… Et il se trouve que le cinéaste, malgré
ses airs de démiurge génial, demeure lui aussi fondamentalement humain ! Ce qui fait de « The tree of life » l’image très exacte de la vie humaine ou de la perception que l’on peut avoir du
cosmos : un grand tout inachevé, ou un grand tout plein de rien, d’une certaine façon… On sort alors du film avec une étrange sensation d’inachevé, voire de frustration : si ces 2h20 passent en
un éclair, on se demande pourquoi elles ne durent pas plus encore… Comme s’il y avait encore tant à dire. On se prend alors à rêver du premier montage que Malick avait fait de son film et qui
devait être présenté l’année dernière : certains prétendent qu’il durait 3h30… Cette version se prolongeait-elle après la « fin » de celle que nous découvrons aujourd’hui ? Aura-t-on un jour
l’honneur de la découvrir, en DVD peut-être ? C’est dans ces moments-là que le réalisateur américain ressemblerait quand même bien à un Dieu vivant : lui seul a une réponse à ces questions,
contrairement à nous, pauvres mortels qui ne comprenons peut-être rien à son cinéma… Mais qu’est-ce qu’il fait du bien quand même, ce cinéma-là, même sans en saisir la totalité : « Tree of life »
est un film qui nourrit, qui nous hante et qui grandit en nous, et qui grandira certainement encore longtemps, au fil des visions que l’on en aura, comme un « arbre de vie » qui croît des racines
les plus enterrées jusqu’aux feuilles des branches les plus hautes, en osmose totale avec la terre, le ciel (l’air), l’eau et le soleil (le feu), soit les quatre éléments nécessaires à toute
chose qui vit…



 



Mise en perspective :



- Les moissons du ciel, de Terrence Malick (Etats-Unis, 1979)































  • Plus










17 commentaires:

  1. Belle perspective sur le film, Phil, une perspective dont je me sens très proche. C'est bien un film monument.

    RépondreSupprimer
  2. Tres tres belle critique. Je te felicite.

    RépondreSupprimer
  3. Bon, je vais aller me faire ébouriffer et je reviens te lire :D

    RépondreSupprimer
  4. Par Sean j'entends bien.
    Mais tu l'avais déjà certainement compris :)

    RépondreSupprimer
  5. Première chose qui frappe l'incroyable beauté des images et le lyrisme envoutant du film. L'idée est excellente car toutes les scènes de paysages, espaces, natures etc... ne sont que paraboles
    comme ça l'était sur "2001 l'Odyssée de l'espace" en son temps. Cependant dans ce film-ci la cohérence n'ets pas toujours au top notamment dans la partie joué par Sean Penn, presque inutile tant
    l'acteur fait qu'acte de présence, il est sous-exploité. La meilleure partie reste celle avec la famille dont l'interprétation des acteurs est impressionnante. Un onirisme plus contrôlé et une
    partie "Sean Penn" plus étoffé voilà ce qu'il aurait fallu. 3/4

    RépondreSupprimer
  6. Ah oui. Manifestement, tu as été conquis. Tes arguments se tiennent. Malheureusement, j'aurais peut-être pu tendre vers cette interprétation (brillante) si seulement j'avais été touché par le
    film. Ebloui, oui, sidéré aussi, parfois agacé quand même également. Mais jamais ému.


    Et c'est principalement là que le bât blesse.

    RépondreSupprimer
  7. Comme je partage ton enthousiasme ! Enfin un film qui replace le cinéma dans une perspective artistique. Et personnelle, ce qui rend ses interprétations multiples tout aussi riches les unes que
    les autres. Malick ne s'est (toujours) pas raté : ouf.

    RépondreSupprimer
  8. Putain, j'étais pas convaincu mais tu donnes envie de le voir!

    RépondreSupprimer
  9. Pour aller plus loin, dans Reflets du temps, on trouve la seule analyse fouillée sur The Tree of life de Terrence Malick. Elle est de Matthieu Gosztola. Terrence Malick pourra-t-il jamais aller
    au-delà dans la radicalisation d’une entreprise formelle ? 


    http://www.refletsdutemps.fr/index.php?option=com_zoo&task=item&item_id=955&Itemid=2

    RépondreSupprimer
  10. Bel éloge !


    J'ai totalement plongé dans ce film. Après je n'ai le courage de le défendre coûte que coûte.

    RépondreSupprimer
  11. Terrence Mallick applique à la lettre la laçon numéro 1 du film : semer des graines et entretenir son jardin. Un film virtuose (bien que la partie très Arthus Bertrand m'a un peu dérangé) ou la
    quête et la recherche du deuil ouvre le film vers une réflèxion millénaire et métaphysique sur la vie et la mort.

    RépondreSupprimer
  12. Après avoir bien moissonné il y a qq années, le voilà enfin palmé. Je dois avouer n'avoir jamais été un grand malickien, même si sa "balade sauvage" et la découverte du "nouveau monde" m'ont
    particulièrement touché. A l'image de beaucoup de gens je suis resté en dehors de ce Cinémonde et tendrait presque à rejoindre l'avis d'Alix sur les projections new age,
    voire "heideggeriennes" sur son film. Il ne reste plus à espérer que les trois heures trente du director's cut pourront faire oublier ces deux heures vingt interminables.

    RépondreSupprimer
  13. C'est vrai que c'est un film en osmose avec énormément d'éléments qu'il met en scène. En tout cas le film divise, et tu as choisi ton camp, le bon, le même que nous sur ASBAF
    http://www.asbaf.fr/2011/05/palm-tree-of-life.html

    RépondreSupprimer
  14. "il serait probablement voué à l’échec de prétendre en faire le compte rendu exhaustif !" tu en as pourtant déjà dit énormément ! Du coup, je n'ai rien a rajouté !

    RépondreSupprimer
  15. Merci pour cette très intelligente - humaine et humble - critique, ça fait du bien.

    RépondreSupprimer
  16. Belle critique mais je n'ai absolument pas adhéré à cet esthétisme à outrance. Je me suis ennuyée, sans doute parce que je n'ai pas compris où le réalisateur voulait en venir. Un rendez-vous raté
    pour moi.

    RépondreSupprimer