lundi 9 mai 2011

[Critique] Je veux seulement que vous m’aimiez, de Rainer Werner Fassbinder



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Je veux seulement que vous m’aimiez, de Rainer Werner Fassbinder (Allemagne, 1976)



Note :
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Mystérieusement demeurée dans les archives des années 70 de la télévision d’Allemagne de l’Ouest, cette œuvre intense et importante de Rainer Werner Fassbinder sort enfin dans les salles
françaises ! Un titre évocateur qui annonce une histoire implacable : celle de Peter, un jeune homme en mal d’amour (séquelles d’une enfance dépourvue d’affection) qui se tue au boulot pour
couvrir son entourage de cadeaux, pensant ainsi pouvoir être aimé en retour… Une intrigue sinistre et cynique à la fois, qui impressionne par son incroyable modernité ! Le sujet du cinéaste
allemand offre effectivement ici un écho troublant avec notre temps et nos sociétés ultra-libérales, dans lesquelles tout semble contrôlé par le seul pouvoir de l’argent… « Je veux seulement que
vous m’aimiez » critique ainsi cette fameuse époque qui a vu les sociétés occidentales se laisser corrompre par l’économisme pur. Si Peter veut montrer à sa femme qu’il l’aime, il se sent obligé
de lui acheter encore et toujours plus : les biens de consommation ont alors remplacé les sentiments humains. Et s’il n’a pas les moyens de financer ses dépenses excessives, qu’à cela ne tienne :
il doit travailler plus, quitte à s’épuiser à la tâche ! Et si ça ne suffit toujours pas, il convient alors d’imaginer des moyens de plus en plus irrationnels de faire de l’argent, qui feront
sombrer Peter dans une tragique descente aux enfers, jusqu’à l’irréparable… La société que Fassbinder décrit fonctionne comme un cercle vicieux imparable : le pouvoir et la fascination pour
l’argent, qui entraîne une logique de ne jamais en avoir assez et d’en vouloir toujours plus ! L’aberration du principe de « crédit », soit celle de vouloir posséder ce qu’on ne peut pas acheter,
s’expose déjà dans ce film avec ses implacables rouages autodestructeurs pour le héros…

Pour illustrer ses théories avant-gardistes, le réalisateur use d’une mise en scène précise et tout aussi implacable. On ne peut qu’admirer son sens évident du cadre, les découpages souvent
saisissant de ses séquences, ou encore ses mouvements panoramiques si particuliers, qui diffusent son empreinte tout au long du film… On retrouve son style à la fois très brut et très sec,
toujours direct et frontal dans ce qu’il (dé)montre à l’écran : on atteint ainsi à une forme d’épure cinématographique, de laquelle émane toute la violence de la civilisation humaine. La patte du
cinéaste se lit également à travers des ellipses brutales, qui tracent les contours d’une œuvre créée dans l’urgence : on pense à cette scène où Peter ose inviter pour la première fois sa future
femme à danser un soir, immédiatement suivie de celle de leur mariage, où on les voit justement danser ; même chose lors de leur toute première relation sexuelle, qui précède tout juste la
naissance de leur enfant… On est bluffé enfin par la structure dramatique utilisée pour le film : à l’aide de plusieurs flash-back bien placés (une séquence de l’enfance où ses parents se sentent
obligés de corriger Peter, une autre résumant efficacement leur rencontre jusqu’au mariage), l’histoire nous est racontée avec une pertinence incroyable. Surtout que l’ensemble du long métrage
peut être lui-même considéré comme un long flash-back, Peter racontant son existence à une psychologue de la prison où il se trouve. On sait donc dès le début qu’il sera condamné pour une faute :
le film se déroule alors comme la démonstration de la perte d’un innocent, peu à peu corrompu par la spirale infernale de la société de consommation moderne, qui l’emprisonne lentement, mais
inéluctablement…

« Avez-vous du plaisir à vivre ? », répètera plusieurs fois la psychologue à Peter à la fin du film. « Je veux seulement que vous m’aimiez » dresse en réalité le portrait sans concession d’un
inadapté social, ou tout du moins d’un homme probablement trop pur pour s’intégrer correctement dans une société qui a tout remplacé par les seuls biens matériels. A travers le personnage de
Peter, Fassbinder propose très certainement un reflet de lui-même, et essaie de nous parler d’amour… L’amour que Peter cherche auprès de ses parents ou de sa femme se heurte toujours à la
sécheresse du cœur de ces derniers. Devant l’impossibilité de se sentir aimé, on assiste alors assez tragiquement et cruellement au délitement émotionnel progressif de l’individu observé,
littéralement broyé par un système purement basé sur une logique de calcul et sur la valeur mesurable des choses, assez proche finalement d’une société sournoisement totalitaire, laissant croire
à chacun qu’il est libre (d’acheter telle ou telle chose par exemple) alors que ce n’est que mensonge… Un modèle de société qui n’a d’ailleurs fait que croître depuis le milieu des années 70 et
jusqu’à aujourd’hui ! Le film illustre avec amertume une réflexion du cinéaste lui-même, que l’on retrouve dans un recueil d’entretiens intitulé « Fassbinder par lui-même » : "Celui qui aime, ou
qui aime plus que l’autre, ou qui est plus accroché à cet amour, ou à cette relation, naturellement, c’est lui qui est dominé. Et c’est lié au fait que celui qui aime moins a plus de pouvoir, ça,
c’est clair. Parvenir à accepter un sentiment, un amour, un besoin, ça demande une grandeur d’âme que la plupart des gens n’ont pas. C’est pourquoi la plupart du temps, ça se passe de façon assez
moche. Je ne connais quasiment pas de relations entre des gens, quels qu’ils soient, dont je pourrais dire que c’est une belle relation." Tout n’est dicté que par un principe de domination pour
l’espèce humaine : douloureuse logique que l’on retrouve d’ailleurs à l’œuvre dans la plupart des films de Fassbinder…































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