jeudi 28 avril 2011

[Critique] Tomboy, de Céline Sciamma



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Tomboy, de Céline Sciamma (France, 2011)



Sortie le 20 avril 2011



Note :
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Sans contrefaçon




Le nom « Tomboy » désigne en anglais un « garçon manqué ». C’est le cas de Laure, cheveux courts et vêtue comme un petit garçon, qui déclare se prénommer Michael aux autres enfants du quartier où
elle vient d’emménager avec sa famille… C’est l’été, le temps de l’insouciance, et Laure trouve ainsi l’opportunité rêvée de vivre son fantasme de transgression des genres. Heureux celui qui ira
voir le film de Céline Sciamma vierge de toute information sur l’intrigue, la révélation sur son sexe effectif tardant un peu au début, laissant supposer au spectateur qu’il se trouve bel et bien
devant l’histoire d’un « vrai petit garçon »… Cette surprise et ce trouble de la découverte demeure néanmoins en partie gâché par la façon dont « Tomboy » est « vendu » : son synopsis et la bande
annonce contiennent d’emblée le secret. Mais difficile de parler du film sans l’évoquer, en vérité, tant il est le cœur même de son sujet ! N’empêche que cet effet de style impose une vraie idée
de cinéma, cet art de manipuler son spectateur, et laisse très clairement apparaître la jeune cinéaste comme une figure à suivre dans le paysage filmique contemporain !

Passé les scènes de jeux et de vie entre les enfants, dont la capacité à faire sourire ou à émouvoir devrait attendrir la plupart des papas et des mamans présents dans la salle, il faut
reconnaître que ce que laisse Céline Sciamma apparaître à l’écran est tout simplement impressionnant. Elle filme les jeunes acteurs, dont on sait combien la direction est souvent rendue bien
difficile et casse-gueule, avec une justesse et une acuité proprement admirable ! Véritable cinéaste de l’observation, elle parvient à baigner l’écran d’une vérité confondante : non pas pour
livrer un cinéma proche du documentaire, mais bel et bien pour tendre vers un cinéma du réel, touchant avec une grâce sensible la notion de vrai et les profondeurs de l’âme… Tout en suivant
continuellement le fil de sa fiction, sans jamais laisser s’installer l’ennui, elle parvient à nous plonger littéralement dans le monde de l’enfance, à la fois à hauteur du regard d’un enfant,
mais aussi, et surtout, AVEC les yeux d’un enfant ! Ce qui en soi fait déjà de « Tomboy » un film remarquable et merveilleux…

Seulement le film ne s’arrête pas là et se permet d’explorer un grand et vaste sujet, qui plus est avec une finesse et une intelligence inespérée : celui de la question du genre et de
l’opposition masculin / féminin dans notre civilisation. Déjà dans son premier film (« Naissance des pieuvres » en 2007), la cinéaste interrogeait le désir sexuel marginal à travers les corps de
jeunes adolescentes attirées par les filles. Cette question semble ainsi s’imposer au cœur de son cinéma et l’ambiguïté du corps de Laure / Michael, mais aussi de ses désirs et de ses sentiments,
s’immisce en plein dans « Tomboy ». Exactement comme la cinéaste, l’enfant entre deux sexes observe attentivement et méticuleusement les autres, pour mieux les imiter ensuite… Puisque Laure veut
« être » Michael, alors il lui suffira peut-être de cracher ou de se battre comme un garçon pour que cela puisse être. Le film pose extrêmement bien la question à la face du spectateur (qu’est-ce
qu’être un garçon ou une fille ?), pour mieux lui prouver que tout ne passe finalement que dans les attitudes et les comportements… N’est-ce pas notre culture, et non nos attributs sexuels, qui
déterminent au fond notre rapport au monde en temps qu’homme ou en temps que femme ? C’est ce que tend à prouver brillamment la réalisatrice ! Elle démontre assez cruellement que tout nous
renvoie à un déterminisme du corps et que notre identité est alors condamnée par la société, la « civilité », à suivre cette directive physique et primitive : la séquence assez dure où le groupe
d’enfants exige de voir le véritable sexe de Laure après qu’ils aient appris qu’elle n’était pas ce Michael qu’elle prétendait être se révèle à cet égard exemplaire… L’évolution humaine n’est
ainsi toujours pas venue à bout de cette donnée éminemment bestiale : on naît nu et la seule chose que les autres voient en nous au moment de notre naissance est notre sexe… Le fameux « c’est une
fille » ou « c’est un garçon », qui semble la préoccupation majeure des jeunes parents. La première chose que les autres verront en nous par la suite et tout au long de notre vie sera encore
notre appartenance à un sexe défini, mâle ou femelle, nous renvoyant sans concession vers notre nature purement animale et reproductive. « Tomboy » nous prouve pourtant qu’il peut être si simple
de changer le regard des gens sur ce point : mais le trouble que l’on génère alors n’est par supportable par les autres, qui exigent inévitablement un retour de l’ordre et de la convention…
Heureusement pour Laure, l’enfance est pleine de ressources et permet de se réinventer malgré tout, loin des jugements bornés de leurs aînés : c’est le sens possible de l’ultime scène du film,
qui reprend l’une des toutes premières, celle de la rencontre entre Laure et son amie Lisa, comme si tout recommençait à zéro… La première fois en garçon, la seconde comme une fille, mais Lisa
semble toujours prête à l’aimer, quel que puisse être son sexe : voilà ce que devrait être très exactement la modernité des relations humaines !































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18 commentaires:

  1. "un film remarquable et merveilleux" comme tu le dis si bien...

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  2. Oui, un film brillant et touchant.
    D'allieurs j'ai entendu la réalisatrice dire qu'elle avait choisi le titre Tomboy parce qu'elle n'aimait pas le "manqué" de "garçon manqué". Ce en quoi
    elle a tout à fait raison.

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  3. Un film magnifique tout du long je suis bien d'accord !!


    Je trouve intéressante l'interprétation que tu fais de la toute dernière scène ; c'est la seule chose qui m'a mise mal à l'aise dans le film, parce que je n'ai pas su comment l'interpréter, ce
    que la réalisatrice voulait en faire. Je n'ai pas vu aussi clairement ce que tu y as vu - que Lisa était prête à l'aimer - et mon malaise venait d'une sorte d'impression de... retour à l'ordre,
    justement, "on reprend tout à zéro mais cette fois ci dans "le bon sens", dans "la vérité"..."


    Je ne sais pas si une majorité de spectateurs / trices y voient ce que tu y vois ? mais si c'est le cas tant mieux !! :)

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  4. J'ai dû regarder le film avec les mêmes lunettes (sans 3D) que Phil Siné car j'ai moi aussi beaucoup aimé ce film (comme j'avais déjà particulièrement aimé "la naissance des pieuvres"). J'y vois
    aussi, à la fin, la perspective d'une nouvelle histoire, qui reposerait sur une relation plus authentique mais pas forcément plus distante (en lien avec la magnifique scène où Lisa maquille
    Michael "en fille" et lui dit "ça te va bien"). Car pour moi (et j'en ferai la démonstration chez moi d'ici peu), "Tomboy" est surtout un film sur la trahison, un thriller quasi
    hitchcockien sur une imposture qui s'appuie justement sur la question identitaire. Passionnant à tout point de vue en tous cas.

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  5. Un film magnifique, le plus beau en ce qui concerne la France depuis le début de l'année à mon avis. Tout y est porté à la perfection : casting, scénario, découpage, dialogues, conduite d'acteur,
    bande-son, lumière, cadrage, mouvements de caméra, choix des décors, du titre.... Je le conseille à tous. 


    Cher Phil : te joindras tu au festival de printemps de Christoblog : http://chris666.blogs.allocine.fr/chris666-300286-festival_de_printemps__inscrivez_vous_.htm ?

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  6. Le film évite avec une facilité déconcertante les grands écueils du genre dans le cinéma français (à mon goût en tout cas) : jugement, morale et didactisme. A la place, on a un beau moment de
    justesse, de simplicité pour quelque chose qui dans nos esprits, semble si complexe à aborder. Je reviendrais peut-être sur le mot "démontrer" que tu emploies, qui s'accorde mal au film je
    trouve. Et la question n'avait pas à se situer dans un suspense sur l'identité sexuelle de l'enfant, nous manipuler sur ce point aurait enlevé au film sa saveur d'authenticité et nous aurait
    orienté vers des interrogations inutiles.

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  7. J'aurais aimé découvrir le film avec un oeil neuf, mais effectivement, il est quasiment impossible d'entrer dans la salle sans connaître le sexe de l'enfant. En même temps difficile d'évoquer le
    sujet du film sans rien dévoiler, même le titre finalement dit tout.


    Sinon un film effectivement très touchant. Un sujet complexe traité intelligemment, avec poésie et sensibilité. Céline Sciamma peine juste à étendre son sujet sur la durée d'un long-métrage.

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  8. Non, plutôt l'inverse. Je trouve qu'elle peine un peu pour trouver de quoi remplir son film, et atteindre une durée convenable pour un long.

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  9. Ton article me donne envie d'y aller c'est un thème très intéressant. J'espère qu'il va encore passer dans ma ville car je peux pas y aller ce soir.

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  10. Belle critique.


    Sciamma m'a à nouveau touché. Elle a décidemment un cinéma bien à elle (toujours à hauteur de ses personnages, mettant en suspension le monde adulte).


    La jeune actrice est épatante et offre à ce film de jolis moments.


    J'ai tout de même préféré son précédent 'Naissance des pieuvres' qui a peut être plus de consistance... Mais ce 'Tomboy' se regarde avec des yeux brillants.

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  11. Je suis allée voir le film dimanche, je l'ai trouvé bien, très bien interprété. Je suis d'accord avec ton article, ton analyse est très fine, mais j'ai quand même été très choquée par la fin du
    film, je ne comprends pas pourquoi il y a eu autant de réactions violentes à cause du"mensonge" de Laura qui la pauvre est isloée et montrée du doigt alors que le film se passe à notre époque et
    que les parents de Laura semblent plutôt à l'écoute de leurs filles. Je trouve que le film est déséquilibré par cette fin qui est baclée en comparaison à l'histoire qui prend le temps de
    s'installer. Le but de ce film en fait c'est comme tu le dis le fait d'avoir un sexe nous impose une éducation, un comportement...... et ça c'est très bien montré dans le film. Avec "La solitude
    des nombres premiers" ces 2 films montrent à quel point l'enfance peut être compliquée à vivre dans certaines familles.

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  12. J'ai rarement été ému à ce point par un film, je ne me rappelle pas avoir ressenti une telle empathie pour un personnage. J'ai trouvé la façon de raconter cette histoire vraiment brillante avec
    une neutralité (au moins apparente) que j'apprécie beaucoup. Je l'ai vivement recommandé à mon entourage.


    La préparation de la scène de la baignade m'a mis dans une angoisse terrible ;)

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  13. Bonjour Phil Siné, je n'avais pas vu la Naissance des pieuvres mais en tout cas Tomboy donne vraiment à penser que C Sciamma est une cinéaste à suivre. Bonne journée.

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  14. Je n'avais à la base pas très envie d'aller voir ce film mais je l'ai finalement bien apprécié.


    Bien sûr, difficile d'aller le voir sans connaître le secret dès le début alors que tout est fait dans le début du film pour nous convaincre qu'il s'agit d'un petit garçon.


    Un film qui fait se poser beaucoup de questions. Pourquoi joue-t-elle ce subterfuge? Est-ce simplement parce que Lisa la prend au premier contact pour un garçon? Difficile d'être certain de la
    réponse. J'ai le sentiment qu'avec ses précédents copains de jeu, elle jouait déjà comme un garçon mais sans cacher qu'elle était une fille. Je trouve qu'elle joue trop bien au foot pour que ce
    soit sa première touche de balle.


    Je trouve également la fin un peu trop rapide. J'aurais aimé voir un peu plus comment elle allait assumer la pénible expérience de la révélation finale. J'aime beaucoup cette scène finale mais
    j'aurais aimé aussi la voir se oursuivre.


    C'est un film qui aurait pu avoir d'autres fins. C'est certain que son secret allait être éventé à la rentrée. Mais j'aurais aimé voir comment elle s'y serait prise si sa mère n'avait pas forcé
    la révélation. Comment aurait-elle révélé la supercherie.


    L'idéal serait maintenant un DVD qui propose ces fins alternatives.

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  15. Décidément, je suis séduite. Je passerai plus souvent par ici !

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  16. Eh bien, c'est peut-être malheureux, mais moi j'ai été déçu par Tomboy... Un début trop long à se mettre en place notamment. Autant la naissance des pieuvres m'avait enchanté, autant là, il
    ne c'est rien passé.


     

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  17. c'est bien dommage alors... j'avoue etre tombé sous le charme... ;)

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