jeudi 21 avril 2011

[Critique] La nuit du chasseur, de Charles Laughton



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La nuit du chasseur, de Charles Laughton (Etats-Unis, 1955)



Note :
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Véritable monument du septième art, « La nuit du chasseur » s’est pourtant avéré un terrible échec commercial lors de sa sortie, dissuadant par là même l’acteur Charles Laughton de poursuivre une
carrière derrière la caméra. Il demeure ainsi la première et unique réalisation de sa part malheureusement, bien que le film a pourtant l’éclat d’un pur joyau ! Mais celui d’un diamant noir, en
vérité, dont la splendeur n’émane que de sa profonde noirceur…

Adapté d’un roman de Davis Grubb, « La nuit du chasseur » raconte d’une certaine façon le plus terrible héritage qu’un petit garçon peut recevoir de son père. Avant de se faire arrêter et
condamner à mort par la police, le père de John dissimule l’argent du hold-up qu’il vient de commettre dans la poupée de sa fille Pearl, avant de demander à ses enfants de ne jamais dire à
personne où était l’argent, pas même à leur mère, afin qu’ils le conservent lorsqu’ils seront plus grands… En voulant bien faire, pour sortir sa famille de la misère, ce père ne sait pourtant pas
ce qui attend alors ses enfants qu’il va laisser orphelins. Car un ignoble pasteur, qui épouse et tue des veuves à cause de leurs pulsions sexuelles qu’il exècre, va faire la connaissance du père
en prison, avant de partir épouser sa veuve et essayer de retrouver l’argent… Comprenant que le secret est gardé par les enfants, il tue leur mère et les menace pour récupérer le magot. Les
enfants parviennent à s’enfuir et une abominable traque s’engage alors…

Ce qui frappe en premier lieu dans le film de Laughton, c’est son esthétique, entre film noir et fantastique. Le noir et blanc du film, d’abord, est une pure merveille : les contrastes sont
saisissants, et les jeux d’ombre et de lumière nous emportent très vite dans le pure cinéma expressionniste… La mise en scène est riche et maîtrisée. Elle offre des séquences hallucinantes et
certains plans somptueux, comme des images fantasmagoriques, presque irréelles… On pense au pasteur devant la barrière de la maison au clair de lune, puis à son ombre portée dans la chambre des
enfants, comme un fantôme venu les hanter ! On est partagé entre l’effroi et l’admiration devant cette vision presque onirique de la mère morte dans son chariot au fond de la rivière, les cheveux
flottants au gré du courant…

Ces images d’un monde flottant entre le rêve et le réel nous font peu à peu glisser du côté du conte de fées… Mais plutôt d’un conte noir et cruel ! Si Robert Mitchum, tout en excès
machiavéliques, incarne à merveille le rôle du méchant ogre (ou de Barbe Bleue, à qui le public le comparera lors de son procès, avant de vouloir le lyncher), John et Pearl sont les deux enfants
en charge de supporter les restes d’innocence du monde… La portée symbolique du conte nous emmène doucement vers le merveilleux : la descente de la rivière en barque par les enfants est d’une
beauté insurpassable, avec des références à la nature absolument divines ! Et quand ils arrivent chez la vieille dame qui recueille les enfants dans son rassurant foyer, ne nage-t-on pas là aussi
en plein conte ?

Mais le merveilleux passe aussi par la musique et les chansons, présentes au sein même de la diégèse, conférant au film des airs discrets de comédie musicale. On pense forcément à la chanson «
Leaning on the Everlasting Arm », que chante à plusieurs reprises le pasteur, comme un gimmick le représentant ou l’annonçant, et qui revêt chez lui une dimension anxiogène et inquiétante… Mais
lorsque, vers la fin du film, la vieille dame la chante pour couvrir la voix du pasteur, elle se fait plus rassurante et surtout plus pieuse, le personnage de Mitchum ne la chantant qu’expurgée
de son vocabulaire divin et salutaire… Il y a également « Once upon a time there was a pretty fly », que chante Pearl, petite fille mélancolique au fond de sa barque : une chanson qui commence
comme tous les contes, par « Il était une fois »…

Difficile de bien parler de « La nuit du chasseur », tant ce film est multiple et profus ! Car le long métrage de Charles Laughton est bien plus que tout ce que je viens de dire : c’est aussi une
interprétation sans faille d’acteurs impeccables (à commencer par Mitchum, bien sûr, énorme et mythique !), c’est une réflexion sur l’enfance, sur la vie, sur la perte de l’innocence et sur le
passage dans le monde des adultes, mais aussi sur la parenté… On se retrouve même parfois en pleine psychanalyse quand John revit deux fois la même scène, l’arrestation de son père puis celle du
pasteur, et finit par confondre le second avec le premier ! C’est un film sur le secret, qui peut parfois être trop lourd à porter. C’est encore un film sur la nature, la loi du plus fort
symbolisée par l’attaque d’un petit lapin par une chouette, mais aussi sur la nature humaine… C’est aussi peut-être un film chrétien, mais un christianisme loin de tout crétinisme et surtout sans
la bêtise de la religiosité : si la petite histoire du bien et du mal, de « main droite main gauche » racontée par le pasteur (ayant les mots « love » et « hate » inscrits sur chacune de ses
mains), s’avère un peu ridicule, la morale évoquée par la vieille dame, grande lectrice de la Bible, est sans doute une piste plus fiable… Elle déclare en effet dès le commencement du film dans
un étonnant flashforward : « Et maintenant les enfants n'oubliez pas ce que je vous ai dit l'autre dimanche. Que le seigneur est monté sur la montagne et qu'il a dit aux gens : "heureux les cœurs
purs, car ils verront Dieu". Et il a dit aussi que le roi Salomon au sommet de sa gloire n'était pas aussi beau que le lys des vallées. Et je sais que vous vous souviendrez de ne pas jugez afin
de n'être pas jugés. Et cela je vous en ai donné la raison. Et le seigneur a dit aussi : "gardez-vous des faux prophètes qui viennent à vous vêtus en brebis mais qui au-dedans sont des loups.
Vous les reconnaîtrez à leurs fruits… Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits ni un mauvais arbre porter de bons fruits. C'est donc à leurs fruits que vous reconnaîtrez les arbres" »…































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6 commentaires:

  1. Voilà un vrai film, un vrai thriller sombre et noir... La perfection pour ce film que je place direct dans mon top 10 de tous les temps ! 20/20

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  2. Mais ou l'as-tu revu ce film ? Là tu t'attaques à du lourd. Je garde en mémoire la berceuse "Once upon a time there was a pretty fly" et quand ça va pas, je me la chante tout bas, c'est
    apaisant...As-tu essayé ? Tout comme toi je suis très sensible à l'aspect conte merveilleux du film, avec son côté sombre bien sûr, comme les contes des Grimm...


    Tu savais que ta vieille copine RoBERT la chantait aussi cette berceuse ?

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  3. J'ai pas lu ta critique parceque je veux conserver la découverte. Il est le film numero 1 sur ma liste des films à voir (qui commence à se faire très longue).

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  4. J'espère que je vais trouver le temps d'aller le revoir. Je l'ai déjà vu au ciné, mais c'était il y a si longtemps, ça vaut bien une nouvelle séance^^

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  5. Et dire qu'un film actuellement à l'affiche prétend que Robert Mitchum est mort. La preuve que non, le pasteur Mitchum est éternel !

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  6. c'est clair ! mais le film qui porte ce titre n'est cependant pas mal du tout !

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