mardi 24 août 2010

Crime d’amour, d’Alain Corneau (France, 2010)



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Note :
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Avec "Crime d'amour", Alain Corneau nous plonge dans un univers aseptisé et glacial, celui où évolue comme des requins les cadres d'une puissante multinationale. La mise en scène bénéficie à cet
effet d'une précision photographique absolument exemplaire : chaque plan possède un cadre dans lequel tout semble méticuleusement ordonné, dans lequel tout a l'air lisse et droit, aux angles
directs et perpendiculaires, trop parfait au fond, si parfait que cela rend mal à l'aise et donne froid dans le dos ! Dès la première scène, on est troublé par l'impression d'un milieu trop poli
pour être vrai, et l'on pénètre alors une atmosphère factice, remplie de mensonges et de faux-semblants... On voit deux femmes, l'une travaillant pour l'autre, chacune se renvoyant les sourires
et les compliments avec un air biaisé et pas franchement très franc... Elles jouent, en fait, prétendant s’aimer pour mieux pouvoir tirer ce qu’elles attendent l’une de l’autre.

Ces deux femmes, ce sont Ludivine Sagnier et Kristin Scott Thomas, la première travaillant pour la seconde, la seconde jouant un jeu de plus en plus cruel avec la première, abusant de son pouvoir
jusqu’au harcèlement et à l’humiliation... Elles sont toutes les deux fatalement belles et vénéneuses, et bien entendu extraordinairement brillantes à l'écran ! Kristin Scott Thomas est
excellente dans ce rôle de patronne au sourire ultra-bright constant, qui dissimule à peine un sadisme vampirique et un désir de domination sur les autres. Ludivine Sagnier, elle, cache bien son
jeu : apparemment innocente et victime au début, un renversement inattendu au milieu du film nous la montrera finalement plus radicale que son modèle ! Dans une scène étonnante, qui marque
probablement le moment de basculement dans son esprit, elle apparaît bizarrement presque mauvaise et son interprétation prête à sourire tellement elle pleure sans retenue en semblant s’énerver
contre un ascenseur puis contre sa voiture : sauf qu’en vérité, elle mime dans ce drôle de jeu le ridicule de l’état amoureux, justement ! Même dans la grossièreté des apparences, c’est quand
même toujours la finesse de l’idée qui l’emporte…

Leur jeu de la chatte et de la souris est d’abord palpitant et fascinant. Et  lorsqu’au bout d'un moment le jeu s'inverse à travers une scène qu’il convient de taire pour ne pas gâcher
l’effet de surprise, on pénètre alors avec une belle intensité le genre du film noir, quasiment hitchcockien ! Très cinéphile, Corneau revendique d’ailleurs quelques influences, notamment à René
Clément ou à Fritz Lang. Il avoue s’être inspiré de ce dernier pour écrire cette histoire de crime, où le meurtrier se laisse d’abord accuser justement pour mieux pouvoir s’en sortir… Comme le
dit un policier dans une réplique qui ne manque pas de piquant : "Ce n'est pas parce que tout vous accuse que vous n'êtes pas coupable !"

Après la scène fatale, on ressent d’ailleurs comme un flottement : on s’interroge sur les agissements et les motivations de la jeune femme, qui sont pour le moins déconcertants de prime abord…
Puis on comprend progressivement qu’elle vient peut-être de réaliser sous nos yeux le « crime parfait » ! Même si on voit venir la solution bien en amont des révélations du scénario (notamment à
l’aide de petits flash-back en noir et blanc dotés d’un certain humour bienvenu), on reste cependant accroché au film et à ses personnages. Bien sûr, on se doutait bien que le « crime parfait »
n’existe pas, et que même si le crime demeure impuni, un point de détail infime, un oubli apparemment sans conséquence, risque pourtant de transformer très vite la vie d’Isabelle (Ludivine
Sagnier) en enfer… C’est le fameux grain de sable capable de faire vaciller les rouages d’une machine infernale !

Mine de rien, chemin faisant, le cinéaste signe un film rudement bien mené et plein de surprises : tour à tour drôle, cruel ou effrayant, il sait ouvrir les perspectives de son histoire. « En
fait, j’aime beaucoup les films à triple lecture », explique Alain Corneau, « à la première, on s’amuse. A la deuxième, on est sensible au phénomène identitaire, puis à la troisième, arrivent les
phénomènes sociaux… Il y a aussi dans « Crime d'amour » le portrait en creux d’une société, des grandes compagnies multinationales ».































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7 commentaires:

  1. Il est gentil Corneau.


    Pourrais-je te suggérer, si tu ne l'as jamais vu, d'essayer de visionner L'invraisemblable vérité de ce bon Fritz avec le fabuleux Dana Andrews. Tu gouteras la différence ...


    Mais oui, j'ai beaucoup ri quand la Ludi tape sa voiture avec ses petits poings :p

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  2. L'affiche m'attire beaucoup sans avoir vu la B.A., c'est déjà un bon point.

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  3. Alain Corneau comme beaucoup semble avoir perdu son talent. On est loin du chef d'oeuvre "Série noire". Le film est construit en deux parties bien distinctes. La première voit un face à face très
    réussie entre une cadre et son mentor interprétée par la superbe Kristin Scott-Thomas. Un face à face vénéneux qui n'est pas sans rappeler un certain Hitchcock toute proportion gardée tout de
    même ! Ambiance froide et aseptisée mais qui laisse un flou évident au moment de l'instant tragique. La seconde partie est moins réussie. A partir du flou on part à l'inverse dans un surplus
    d'explications par le biais de flashbacks... Il est clair qu'un scénario plus linéaire et voir le plan se construire aurait donné un résultat plus cohérent. Dans cette seconde partie, plus de
    Scott-Thomas mais une mise en avant de Ludivine Sagnier qui semble vouloir assumée et assurée mais elle en fait surtout des tonnes ; ça manque de finesse et de charme (quel maquillage hideux !).
    Un film uni moins divisé dans ses deux parties aurait donné un film bien plus efficace et je pense que Ludivine Sagnier aurait joué beaucoup mieux en face d'une Kristin Scott-Thomas plus présente
    sur la longueur. Un film intéressant mais inégal donc. 2/4

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  4. Ton analyse du film est fine et très intéressante à découvrir à chaque fois que j'ai vu un film. Même si je ne partage pas complètement ton enthousiasme, je souscris plus que partiellement.
    Marrant, j'avais pas compris qu'elle mimait sa douleur ... Ca veut dire qu'elle avait prémédité sa vengeance avant l'ultime humiliation, j'y avais pas pensé ... Cela expliquerait la crise de nerf
    excessive que j'avais trouvé ridicule sur le moment. Cordialement. Marco.

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  5. Alors là, on dirait que je n'ai pas DU TOUT vu le même film que toi...


    Ton argumentaire est fouillé, mais je n'arrive pas à y adhérer, ce que tu vois comme froideur clinique apparait pour moi comme banalité "téléfilmique".


    Ce que tu exprimes pourrait pour moi être juste sur un film comme Violence des échanges en milieu tempéré. Mais pas dans le domaine du polar


    Je partage l'avis de Fred...


    Et j'ajoute Le Talentueux Mr Ripley et L'inconnu du Nord express à la liste...


    Car pour moi Crime d'amour est un peu le Canada Dry de ces films là...

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