Tournée, de Mathieu Amalric (France, 2010)

 

Note :

 

En le récompensant du Prix de la mise en scène, le Festival de Cannes a enfin consacré cette année un grand cinéaste, dont c’est pourtant déjà le quatrième film : Mathieu Amalric. Plus connu
jusque-là pour ses performances d’acteur, toujours merveilleuses, le voilà qui se révèle doublement brillant dans « Tournée » : à la fois l’excellent acteur attachant que l’on connaissait déjà et
surtout l’extraordinaire et talentueux réalisateur qu’il souhaite d’ailleurs être avant toute chose depuis le début de sa carrière ! C’est désormais chose faite, et bien faite, puisqu’il signe
avec ce long métrage une fresque sublime et virtuose, pleine de vie et d’émotions, à la fois multiple et d’une extrême cohérence… Multiple, « Tournée » l’est en effet, de part l’ampleur de ce
qu’il embrasse : parfois semi-documentaire, il suit la tournée française d’une troupe d’américaines aux formes généreuses qui proposent un show de « New burlesque », une forme de spectacle vivant
entre numéros musicaux rigolos et effeuillage corporel un peu plus trivial… Mais s’il montre quelques séquences de ce spectacle visiblement très vivant, généreux et original, le film se consacre
surtout à ses coulisses et à la vie quotidienne de ces artistes d’un genre particulier, en montrant les répétitions, les nuits d’hôtel en hôtel (de moins en moins grand standing), leurs frasques,
leurs rires ou leurs rencontres d’un soir…

Amalric filme ses actrices avec une sincérité et une générosité magnifiques ! L’aspect très fleuri de leurs noms (Mimi Le Meaux, Kitten on the keys, Dirty Martini…) n’a d’égal que la fantaisie de
leurs personnages souvent lunaires, un peu mélancoliques, et toujours souriant à la vie, même si elle n’est pas toujours rose… On s’attache à leur simplicité et à leur naturel fantasque, à leurs
jeux sur scène souvent osés et toujours plein d’idées ! On s’y attache si facilement bien sûr parce que les actrices sont elle-même superbes, mais aussi parce que le cinéaste sait toujours
comment les montrer… Il semble placer la caméra toujours au bon endroit, très près quand il le faut, plus loin à d’autres moments. La façon de filmer le spectacle depuis les coulisses, ou même
depuis le point de vue de l’artiste sur scène, est très convaincante et crée de nouveaux effets d’empathie avec les personnages… L’émotion affleure, à vif, mais le tout est aussi enrobé de
beaucoup d’humour ! Une drôlerie très belle, très humaine, presque affective, à travers des scènes qui montrent parfois les maladresses de chacun : ça pourrait être cruel, mais c’est au contraire
doux et plein d’amour. On pense notamment à la scène dans les toilettes où un amant jouit un peu trop tôt : qu’à cela ne tienne, la femme saisit sa tête pour la placer entre ses cuisses, il n’y a
pas de raison pour qu’elle n’en profite pas un peu elle aussi ! A l’extérieur, des enfants écoutent leurs râles et leur demande s’ils jouent aux animaux… Encore une fois, la scène pourraient être
dérangeante, mais la mise en scène habile sait la rendre simplement belle et naturelle !

Mathieu Amalric nous emporte ainsi dans un flot d’images terriblement humaines, bercées par une bande son juste excellente et entraînante. Il maîtrise son cadre et ses acteurs, mais il nous
rappelle aussi qu’il reste un grand comédien lui-même, à travers ce personnage de producteur en galère, de retour en France où il avait abandonné femme et enfants… Un beau portrait, touchant et à
vif, encore, d’un garçon un peu perdu, pas très mature, mais profondément humain… Amalric acteur est une fois de plus bouleversant ! Voilà un film à ne pas manquer, et surtout à faire « tourner »
généreusement...