mercredi 21 juillet 2010

Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures), d’Apichatpong Weerasethakul (Thaïlande, 2010)



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Note :
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Palme d’or au Festival de Cannes



 



Sortie nationale le 1er septembre 2010



 
« Les Cahiers du cinéma » titrait son numéro de juin dernier : « Une palme de rêve »… On peut en effet considérer « Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures », le nouveau film
d’Apichatpong Weerasethakul, palme d’or au dernier festival de Cannes, comme un pur moment d’onirisme, et cela d’un double point de vue ! D’abord par rapport au film lui-même, qui, par sa forme,
sa syntaxe, son rythme, sa dimension étrange et fantastique, ressemble à un grand rêve éveillé, à regarder les yeux grands ouverts… Ensuite parce que récompenser un tel film par le prix suprême
du Palmarès cannois demeure un geste d’une audace folle et insensée, que l’on aurait jamais osé imaginer même dans nos rêves les plus fous et que Tim Burton et son jury ont pourtant réalisé en un
simple battement de cils, et visiblement bien éveillés…

Car il faut bien le reconnaître : une œuvre comme « Oncle Boonmee » est loin d’être une évidence pour la plupart des gens… Elle appartient à une cinéphilie exigeante et inhabituelle, flirte
largement avec un art des plus expérimental qui ne manquera pas de déconcerter, de prime abord, la plus grande partie de son public, en particulier celle qui n’a encore jamais vu un film
d’Apichatpong Weerasethakul… Si le cinéaste n’est peut-être pas ce qu’il conviendrait d’appeler un génie, il semble pourtant toucher du bout de sa caméra la grâce et la beauté. Il livre un cinéma
très particulier, radical dans sa forme mais pourtant universel dans les sensations qu’il explore… Loin d’être une œuvre extrêmement réfléchie, « Oncle Boonmee » touche plutôt à la notion de «
ressenti ». Il faut probablement accepter le film comme il vient, et le décrypter comme un voyage intérieur (à l’intérieur de soi et des autres), quelque part entre la vie et la mort.

Mais de quoi est-il question au juste ? C’est bien là le problème : malgré quelques indices, l’ensemble du film est plus largement contemplatif que platement narratif… Le tout apparaît alors très
vite parfaitement irracontable ! Mais c’est justement ce qui le rend si singulier et au fond si fascinant ! On sait que Boonmee va mourir très bientôt d’une insuffisance rénale. Etrangement, sa
femme défunte réapparaît à ses côtés sous la forme d’un fantôme, tout comme son fils mort, qui lui est devenu un gorille aux yeux rouges phosphorescents… Cette intrusion du merveilleux au beau
milieu d’une situation tout à fait réaliste nous apparaît presque comme une évidence et une explosion de grâce ! On se laisse alors bercer, comme sous hypnose, dans la jungle où s’enfonce Boonmee
et ses proches pour mourir. De surprenantes visions apparaissent alors, peut-être des souvenirs, pas forcément les siens, ou peut-être ceux de ses fameuses « vies antérieures »… On pense bien sûr
à cette incroyable scène, où une princesse ayant perdu sa beauté se laisse séduire (et déflorer !) par un poisson chat malicieux, mais c’est tout le film qui se déroule comme un pur
émerveillement, entre mystique animiste dans une forêt fertile en débordements imaginaires et métempsycoses métaphysiques à absorber en dehors de nos logiques connues et étriquées, par trop
conventionnelles… A l’image, notamment, de cette séquence d’ouverture a priori banale, qui explore pourtant les différents degrés de réalité avec une puissance inouïe : un buffle domestique se
détache pour retrouver la liberté de la vie sauvage en s’enfuyant un instant dans la jungle, où règne une atmosphère quasi fantastique. Au final, une mise en scène sublime se met au service d’un
projet cinématographique complètement fou et stimulant !

Si le film d’Apichatpong Weerasethakul risque de ne pas réunir énormément de spectateurs dans les salles, ce n’est pas, comme on pourra certainement l’entendre ici ou là, parce qu’il appartient à
un cinéma élitiste et intello, beaucoup trop hermétique pour être compris et accepté par la masse imbécile… C’est bien au contraire parce qu’il est probablement bien trop « populaire » et
universel pour fédérer un public habitué à des fictions trop écrites et calibrées selon des normes prédéfinies et réfléchies, prémâchées pour son petit cerveau jugé par avance étriqué… En
réalité, « Oncle Boonmee » est une œuvre de pur cinéma, et « populaire » au sens où elle ne s’appuie pas sur des règles communément admises, notamment narratives, mais sur la sensation naturelle
et toute prosaïque de la vie quotidienne, sur la simple rêverie du dormeur solitaire, que l’on a si peu l’habitude de retrouver ainsi livrée en pâture sur un écran… Un film incontestablement en
avance sur son temps, à découvrir de toute urgence !



 



Mise en perspective :



- Tropical Malady, d’Apichatpong Weerasethakul (Thaïlande, 2004)



- Dernières séances : Blissfully yours, d'Apichatpong
Weerasethakul (2002)































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7 commentaires:

  1. ohhhh, je ne sais pas si je te déteste ou si je t'aime de parler de ce film!


    tu en parles merveilleusement bien, avant même de l'avoir vu, je suis tellement heureux de lire quelqu'un le défendre ! tout bien réfléchi, je me demande si ça n'est pas ton meilleur article. Tu
    donnes envie, tu résumes tellement ma pensée quant au cinéma et les à priori d'une certaine frange populaire. Tu résumes aussi l'audace burtonnienne (qui confirme qu'il est un génie). Magnifique,
    rien que l'affiche.


    Bon j'ai vu des Dieux et des Hommes, je le trouve très très beau, peut-être que je préfère Poetry et Tournée, mais c'est pas dit, ça se tient. quel beau palmarès cannois !

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  2. J'attends avec impatience sa sortie en salle. Visiblement, le film t'a énormément séduit. Par contre, je ne connais pas bien son réalisateur.

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  3. ah cool, ça a l'air super... j'ai hâte de voir ça !

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  4. je suis d'accord avec Alexandre !! cette critique est super belle et tu écris magnifiquement bien  


    Je rentre tout juste d'avoir vu L'oncle B. ; et j'ai été toute enchantée, de la jungle, surtout, de la descente dans la grotte, sur fond de grondement, de murmures sourds ; j'ai adoré les
    singes-fantômes qui m'ont rappelé ceux de Princesse Mononoke. Vive les rêves les yeux ouverts...

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  5. Uncle boonmee impressionne la pellicule, en ces temps de 3d et d'effets spéciaux en tout genre, il prend le parti de l'artisanat avec superpositions, fondu, maquillage comme dans les premiers
    star wars. De l'obscurité apparait cet homme mi-singe, il avance avec lenteur, et les personnages "vivants" l'accueillent avec sérénité. On touche à la méditation, mais au lieu de nous flanquer
    des images lumineuses et une Thaïlande touristique, le réalisateur nous fait entrer dans un monde obscure où le silence règne en maître. Le calme de ce repas entre morts et vivants est magnifique
    parce que serein et simple, on propose à boire au défunt, on lui montre un album photos de ce qu'il n'a pas vécu avec les vivants. En tant qu'asiatique, c'est facile d'admettre cela, car nous
    faisons des repas entiers que nous laissons au moins une heure pour que nos grands parents décédés puissent manger, lorsque nous fêtons l'anniversaire de leur décès. Aussi ce qui est beau c'est
    le rythme du film, lent, qui nous propose de bien regarder et faire notre propre film. on rêve avec eux. La frontière entre morts et vivants est mince, ce qui dans la culture occidentale est rare
    de même que l'évocation d'un défunt est trop souvent posée comme douloureuse, au lieu d'être sereine voire joyeuse. Voyez ce jeune homme au sourire magnifique lorsqu'il regarde la tante
    revenante. Les plus belles séquences sont de nuit, l'ouverture du film avec ce buffle si vivant et mystérieux, et la lumière bleu sombre dans la séquence de la princesse, on entre dans un
    espace de légende. Rare sont les films qui surgissent du noir, où chaque feuille semble vibrer, où le spectateur cherche dans l'image. Même dans les champs vides, émane une présence. Une
    epérience de cinéma jeune et revigorante, qui ouvre des portes mystérieuses. Une oeuvre unique.

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  6. J'ai fait moi aussi le voyage. J'avoue que je n'en suis pas encore revenu.

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  7. héhé, comme c'est joliment exprimé... ;)

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