vendredi 28 mai 2010

Copie conforme, d’Abbas Kiarostami (Italie, Iran, France, 2010)



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Note :
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"Ce serait idiot pour nous de nous rendre malheureuses au nom d'un idéal"



 



Pour son premier film tourné en dehors de son pays, le cinéaste iranien Abbas Kiarostami a choisi les très beaux décors ensoleillés de la Toscane. Il y propose, dit on, une relecture du « Voyage
en Italie » de Roberto Rossellini. Mais plus qu’une « copie conforme » de l’original, il livre un film subtil et complexe, bien plus proche d’une variation sur un thème éternel : l’amour…

Mais tout commence avec l’art. Et l’amour de l’art, bien entendu… Une femme avec enfant, marchande d’art, semble éprise d’un homme qui vient de publier un livre sur la copie en matière d’art,
dont le titre n’est autre que « Copie conforme ». Elle paraît d’abord jouer les groupies en demandant des dédicaces, puis se servant de son métier, elle parvient à obtenir un rendez-vous avec
l’homme : une longue ballade commence alors, en voiture ou à pieds, sous le soleil de l’Italie… Ils échangent sur l’art, bien sûr, débattent philosophie et métaphysique, et plus particulièrement
du problème d’une copie, qui serait en tout point conforme à son original : ne deviendrait-elle pas alors elle-même une œuvre d’art ?

On croyait tout comprendre de cette conversation vaguement amoureuse de deux êtres qui se tournent autour, quand tout à coup, vers le milieu du film, tout bascule ! Kiarostami ose un « twist »
absolument inouï, comme on en voit plutôt dans le cinéma américain un peu bourrin… Mais le réalisateur iranien, lui, est plus subtil et tout nous apparaît ici de façon très simple, très diffuse,
un peu comme dans un rêve. Il y a d’abord un doute, une hésitation et une réinterprétation de l’histoire par la serveuse d’un café, qui prend ses deux clients pour un couple marié, ceux-ci se
laissant prendre au jeu… Et puis un peu plus tard, la femme dit quelque chose comme si de rien n’était, et par le biais de cette seule phrase, tout s’inverse tout à coup… On met encore quelques
instants avant de comprendre ce qui vient d’arriver alors, et ce n’en est que plus merveilleux encore !

Le film s’ouvre ainsi sur une nouvelle perspective, dont le thème principal deviendra l’amour… Les lieux s’y prêtent à merveille, tout comme les personnages et tous ceux qu’ils rencontrent…
Qu’est-ce que l’amour ? Nos deux protagonistes croisent notamment le chemin de deux couples, qui se révèlent être comme deux copies d’eux-mêmes (encore la « copie »…), mais à des âges différents.
Un premier couple, qui se marie ce jour-là, incarne encore l’amour idéalisé et espéré, et un autre couple, bien plus âgé, bien plus posé aussi mais toujours plein d’attention l’un pour l’autre,
refait son voyage en Italie pour la énième fois, car c’est le lieu de leurs premières amours… Quant au couple vedette du film, il incarne comme un entre-deux, un tournant entre une vie qui n’a
pas eu lieu et une autre qui n’aura pas lieu, mais qui pourrait avoir lieu, simplement un peu différemment… Tout semble alors se jouer aujourd’hui entre eux ! Quand la cloche sonnera le soir, il
conviendra de décider…

Dans « Copie conforme », la mise en scène est impressionnante et sert l’histoire dans chaque plan ! Elle révèle les personnages à eux-mêmes et incarnent leurs émotions. Le découpage des plans,
parfois éclatés par la présence de miroirs qui renvoient à autant de regards sur la même image, est révélateur de la confusion des sentiments… Et puis il y a constamment cette ampleur, cette
douceur dans la façon de filmer, ce faux calme si apaisant, qui rend le film d’une fluidité impressionnante ! On pense à ce merveilleux plan séquence, travelling en voiture, au cours de laquelle
les personnages conversent simplement alors que le ciel et les toits des maisons se reflètent en miroir sur le pare-brise…

Tout se cachent magnifiquement dans les apparences, multiples et bien souvent incertaines… La polyphonie des voix joue, à ce titre, un autre rôle fondamental. Trois langues s’entremêlent en toute
simplicité dans des dialogues finement écrits : le français de la femme, l’anglais de l’homme et l’italien de l’Italie… Chacun sera amener à pratiquer les trois langues, mais chaque conversation
possède pourtant des bribes de l’une ou de l’autre… Une belle métaphore du caractère multiculturel de l’œuvre, à laquelle il faut ajouter l’iranien, qui même si on ne l’entend pas est la langue
native du cinéaste…

N’oublions pas à propos d’évoquer ce que Kiarostami filme véritablement dans « Copie conforme ». Il filme Juliette Binoche, qui est magnifique et multiple, impressionnante quand elle parvient à
passer du rire aux larmes en un instant, ou de l’apaisement à la colère en une réplique ! Il filme ainsi une femme occidentale, libre et passionnée, « sans voile » au propre comme au figuré… Il
filme une autre femme portant le voile, mais c’est une femme qui se marie, dont certaines exigences démontrent très vite qu’elle n’a rien d’une femme soumise ! Cette façon de faire exploser
ostentatoirement son féminisme à la face du monde et plus particulièrement de son pays où les femmes sont écrasées par la domination masculine, est un bel acte de bravoure, (goût de la) cerise
sur le gâteau d’un film intense et prodigieux…































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9 commentaires:

  1. Tout à fait ,une interprétation magnifique et un film qui ne l'est pas moins...

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  2. Le mot « twist » seul aurait suffit à me donner envie de le voir, mais c'est une très belle critique que tu nous as écrit !!
    Si seulement j'avais le temps d'aller au ciné...

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  3. Voilà un film qui ne peut faire l'unanimité... Kiarostami choisit une mise en scène particluièrement sobre et classique (à part son jeu de miroir) pour un sujet très théâtral. On suit un couple
    qui discute et débat sur la valeur de la copie dans l'art avec un parallèle évident sur leur vie de couple. Aux décors splendides se joint des dialogues denses mais particlièrement intéressants,
    encore faut-il pouvoir tenir tant le film est très bavard ! Le duo star joue à la perfection n otamment Juliette Binoche qui mérite (n'en déplaise aux aveugles) son prix d'interprétation à
    Cannes. Alors oui sans doute un poil trop figé et bavard mais le film offrre son lot de plan magnifique, de scènes superbes d'émotion (surtout à la fin) et une réflexion riche sur l'art et aussi
    sur le couple. A voir et à conseiller sauf aux adeptes uniques du film commercial.

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  4. Vu hier et tout aussi conquis que toi...


    Juste un regret: celui de ne pas avoir vu le film totalement vierge de toute info concernant ce twist...


    ça m'a un peu gâché la surprise...


     


    Mais pas le plaisir !!!

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  5. Non, t'inquiétes, la presse ciné et les médias télé à Cannes s'en étaient chargé... en même temps, difficile de parler du film sans parler de ça !

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  6. Très bel article pour un très beau film.

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  7. Beau texte et très beau film, absolument. Tout à fait digne des précédents de ce cinéaste génial.

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  8. oui il est formidable celui là ! il accuse tout de même une petite baisse de régime avec "like someone..."


    mais je suis qu'il va rebondir ! :)

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