dimanche 25 avril 2010

Mammuth, de Gustave Kervern et Benoît Delépine (France-Groland, 2010)



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Note :
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Après le succès de « Louise-Michel », leur précédent film, les deux ressortissants Grolandais Kervern et Delépine n’ont aucunement pris la grosse tête et récidivent avec un film tout aussi
talentueux et pourtant toujours aussi fauché : « Mammuth ». Le manque de moyens, après tout, c’est un peu leur marque de fabrique et ça reste pour eux un choix délibéré : après avoir réalisé
leurs deux premiers films en noir et blanc, ils cherchaient d’ailleurs pour celui-ci « un moyen de faire du noir et blanc en couleurs »… Et à l’image, ça fonctionne à la perfection : image sale
et granuleuse aux couleurs pauvres, on dirait la texture d’un vieux film de famille en super 8 gonflé en 35 mm ! En utilisant en réalité de la pellicule « inversible », dont on se servait dans
les années 70 pour les journaux télévisés, ils marquent pourtant leur style, curieux mélange de docu-fiction, entre crudité réaliste et poésie trash…

Dans "Mammuth", tout comme dans "Louise-Michel", il est encore question du monde des petits travailleurs et des classes sociales inférieures, sur lequel les cinéastes jettent un regard mi-amusé
mi-généreux, toujours situé entre tendresse et cruauté... Jamais cynique, toujours absurde, leur humour si particulier fait mouche à chaque fois pour qui sait le pénétrer... En racontant le
parcours quasi initiatique de Serge Pilardosse, surnommé "Mammuth" à cause de la marque de la moto qu'il chevauchait plus jeune (et qu'il ressort du garage pour sillonner le pays), le film nous
entraîne sur les routes de la France profonde d'aujourd'hui. Le personnage, magnifiquement interprété par Gérard Depardieu, part en réalité à la recherche des "papelards" que devraient lui donner
tous ses anciens patrons afin de percevoir sa retraite au taux plein... Sauf qu'il se rendra peu à peu compte que ceux-là ont soit disparu, soit ne l'avait jamais déclaré à l'époque... L'un d'eux
ira même jusqu'à lui dire très clairement qu'il n'y a pas de papiers, parce qu'il l'avait bien pris pour un con ! Au moment où le problème des retraites revient en pleine actualité, le film tombe
à pique et émet une critique sociale des plus pertinente et acide, condamnant les maîtres du grand capital qui se permettent d'exploiter jusqu'au bout les masses laborieuses...

Du coup, cette recherche un peu vaine de ses anciennes fiches de paie sera surtout pour Serge l'occasion de renouer avec son passé : une partie de sa famille avec qui il était brouillé depuis
plus de vingt ans ou un premier amour décédé avant même d'avoir été consommé et marqué par le joug de la culpabilité (superbe apparition post-mortem d'Isabelle Adjani). Etonnamment, le film
s'avère du coup très émouvant au fil de plusieurs séquences, même si cette dimension est bien entendu contrebalancée par toute une avalanche de gags loufoques et décalés, un peu plus dans un
esprit "Grolandais"... Une scène de masturbation avec le cousin, notamment, comme en souvenir d'une jeunesse définitivement perdue ! Au bout du chemin, le personnage, étrangement docile devant
toutes les crasses que lui a réservé la vie, finira par comprendre ce qui compte vraiment en retournant dans les bras de sa bien aimée, formidable Yolande Moreau...

Avec son comique faussement pipi-caca et franchouillard, cette petite merveille d'un cinéma non-conventionnel nous réserve de très belles trouvailles, qui se révèlent contre toute attente souvent
assez poétiques ! Quand Depardieu se retrouve devant une ancienne usine transformée en siège d'une entreprise informatique, on a droit par exemple à un dialogue de sourd à l'interphone,
symptomatique de la fameuse "fracture numérique" entre les différentes classes d'âge... Mine de rien, "Mammuth" en dit d'ailleurs très long sur la société contemporaine, sur les moeurs et
coutumes de nos civilisations étonnantes et déconcertantes. Le film prend dans ces moments-là une perspective presque ethnologique et anthropologique assez bluffante ! Parfois pathétique, avec la
scène du pot de départ à la retraite de Serge (aux allures des plus authentiques, elle aurait même été tournée avec les vrais salariés et le vrai patron  de l'usine de charcuterie), parfois
inquiétant, avec ce plan anxiogène où le personnage passe son chemin, ni vu ni connu, devant un cadavre dans les rayons d'un supermarché, les réalisateurs en disent très longs sur la vérité
humaine, ses faiblesses et ses petites lâchetés quotidiennes, même si tout est présenté avec beaucoup d'exagération et d'accentuation. On assiste enfin à une sorte de voyage au bout de la folie
des hommes, si bien résumé dans une mise en abyme assez incroyable : un DRH (le Belge génial Bouli Lanners), suffisamment fou pour se faire tailler des pipes au bureau par une secrétaire
imaginaire, fait passer un entretien pour du travail à la nièce de Serge (Miss Ming), débile légère qu'il prend justement pour une folle... Eloge de la folie ordinaire au sein d'un film d'une
folle intelligence et d'une audace incroyable, qui tranche définitivement dans le paysage cinématographique contemporain !































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9 commentaires:

  1. Film suprenant au premier abord, mais plus j'y pense, plus je l'apprécie !

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  2. Une super critique d'un film qui à l'air super. Dans ta description du personnage et des thémes, ça me fait pensé à du Tati (la fracture numérique, le coté enfantin du personnage).

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  3. j'étais certain qu'il recevrait un accueil chaleureux. Il faut dire qu'il le mérite. J'ai quand même un mini réserve sur la fin, un peu molle (comparé au finish extra de aaltra) mais globalement,
    Gégé écrase tout.

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  4. Merci pour cette belle chronique: va falloir que je trouve un temps pr aller voir ce film, d'autant plus que cela fait quelques temps que l'on n'a pas vu Depardieu ds une grande prestation.

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  5. Idem pour moi, c'est un excellent film que j'ai trouvé encore meilleur que "Louise Michel". Je viens juste d'écrire ma critique sur ce film étonnant qui mélange parfaitement cynisme, humour noir,
    réalisme social et émotion. 3 étoiles également de mon côté.

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  6. ah pour le film d'avril, il s'est fait détroné !


    et quand je dis réserves, c'est tellement minime.

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  7. sinon, rien à voir avec ton billet mais je t'invite à découvrir mon article sur A Serbian Film...

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  8. Très bonne critique pour un très bon film, aussi juste que drôle et émouvant.

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