A serious man, de Joel et Ethan Coen (Etats-Unis, 2010)

Note :

Le prologue du film pourrait résumer brillamment ce que cherche à décrire les Coen dans "A serious man" : on y voit un couple juif converser et finir par se demander si la personne que le mari a
invité à souper n'est pas en réalité un homme mort 3 ans plus tôt... Ce serait donc un dibbouk, une sorte de revenant, dont il faut se méfier. La femme plante alors un pic à glace en plein dans le
coeur de l'homme, qui se met à rire diaboliquement, soutenant ainsi la thèse du fantôme. Mais du sang n'en coule pas moins de sa blessure ensuite et il prétend se sentir mal, laissant penser que la
femme vient en réalité de commettre un meurtre. La séquence se termine avec le départ chancelant de l'homme blessé de la maison, sans que l'on sache vraiment de quoi il s'agissait... Et on ne le
saura d’ailleurs jamais dans la suite du film, qui nous raconte finalement une toute autre histoire ! Cette façon de raconter les histoires sans leur donner de réponse, ou plus précisément en leur
donnant peut-être trop de réponses, serait-ce donc cela, ce que l'on appelle l'humour juif ? La fin très ouverte et pleine d'incertitudes de "A serious man" laisserait effectivement supposer
cela...

Le film s’attache à la vie de Larry Gopnik, qui essaie à tout prix d’être un « mensch », c’est à dire un homme droit et méritant, selon la culture juive, qu’il respecte d’ailleurs du mieux qu’il
peut. Sauf que le mauvais sort semble s’acharner sur lui, sans que l’on sache vraiment pourquoi : son fils fume de l’herbe et se fait remarquer à l’école hébraïque, sa fille sèche les cours et lui
vole de l’argent, son frère dépressif vit chez lui comme un parasite et se fait régulièrement arrêter par la police, son voisin empiète sur sa propriété… et surtout sa femme veut le quitter pour un
homme plus âgé et plutôt étrange. Sans compter qu’à l’université où il enseigne, sa titularisation est compromise par des lettres anonymes et un étudiant qui cherche à le soudoyer pour avoir de
meilleures notes… Rien ne va plus dans sa vie, et pourtant Larry demeure fidèle à une conduite irréprochable. Il demande conseille à des rabbins, qui déclenchent des scènes savoureuses dans le
film, mais qui ne l’aident pas vraiment. Quant aux avocats qu’il engage, leurs honoraires se révèleront bien plus élevés que leur efficacité… L’ensemble du film suit un scénario parfaitement écrit,
plutôt alerte, qui réserve de nombreuses surprises et provoque souvent l’hilarité, même (et peut-être spécialement) dans les moments les plus tragiques. Tout est vraiment riche et impeccable dans
cette œuvre très personnelle des frères Coen, qui s’inspirent en réalité de leur propre enfance, baignée de culture religieuse… « A serious man » s’avère ainsi un film furieusement juif, d’où émane
un profond respect pour ces gens et cette culture en même temps qu’un sérieux décalage rempli de dérision ! On a notamment droit à une belle brochette (kasher, évidemment) de personnages aux
frontières de la caricature dans des scènes parfaitement délicieuses…

On s’amuse vraiment dans ce film qui ne ressemble à aucun autre… Les acteurs, pour la plupart peu ou pas connus, sont tous très très bien, l’histoire se déroule à la perfection et sans temps mort
jusqu’à un dénouement des plus déstabilisants, dans la mesure où il nous laisse donc sur un grand vide… à moins qu’il ne s’agisse d’un trop plein ? ou peut-être les deux ! Et c’est ce paradoxe
apparent qui rend ce long métrage aussi abouti et intelligent, dans lequel on s’est beaucoup amusé et duquel on sort épuisé, oui, mais surtout ragaillardi et plein de forces nouvelles pour
affronter la vie et nos propres malheurs… Après avoir assisté à ceux du pauvre Larry et avoir imaginé tous ceux qu’il allait sans doute encore devoir affronter, tout ça, après tout, ne peut nous
sembler que de la rigolade ! Mais la vie, au fond, est-ce vraiment autre chose qu’une bonne blague, qu’elle soit juive ou pas d’ailleurs ?