mardi 24 novembre 2009

L’année dernière à Marienbad, d’Alain Resnais (France-Italie, 1961)




Note :







Quand il réalise "L'année dernière à Marienbad", bien plus que dans la nouvelle vague du cinéma français à laquelle on l'a souvent associé (à tort ?), c'est dans le nouveau roman qu'Alain Resnais
cherche à s'inscrire. La présence d'Alain Robbe-Grillet à l'écriture du scénario en est un indice majeur, et il ne faut pas oublier que le film précédent du cinéaste n'est autre que "Hiroshima mon
amour", écrit par Marguerite Duras. Tout le film, surtout, se présente comme un défit à la fiction, à l’instar des auteurs du nouveau roman, qui cherchaient à casser le déroulement d’une narration
classique, les portraits de personnages précis et les autres certitudes apportées par une écriture plus traditionnelle… Dans ce film, en effet, on assiste à un enchevêtrement d’images et de mots,
parfois sans lien avec le reste, parfois dans le désordre, figurant souvent le doute le plus complet. L’histoire de « Marienbad » ? Au fond peu importe ! Une vague histoire de liaison entre un
homme et une femme mariée survenue l’année d’avant. Aujourd’hui, la femme semble ne pas se souvenir de l’homme. Ou bien non, c’est l’homme qui se trompe… Au fond, c’est l’histoire d’une histoire
qui se cherche, comme si elle était justement en train de s’écrire sous nos yeux, avec ce qu’il faut de bafouilles, de ratures, d’impasses et de retours en arrière.
Formellement, « L’année dernière à Marienbad » est tout simplement sublime. A sa vision, il faut se dire avant tout que l’on assiste à la projection d’un très bel objet filmique, que nombreux
considèrent d’ailleurs comme le plus grand film du cinéma… Après tout, Resnais et Robbe-Grillet ne cherchaient pas forcément à en dire plus. Le réalisateur affirmera d’ailleurs lui-même : « Nous
voulions nous trouver un peu comme devant une sculpture qu'on regarde sous tel angle, puis sous tel autre, dont on s'éloigne, dont on se rapproche ». Il rêvait en fait d’échafauder « un film dont
on ne saurait jamais quelle est la première bobine »… Un film à l’intérieur duquel on pourrait se promener d’avant en arrière, duquel on pourrait recomposer les plans ou réagencer l’ordre des
séquences, un peu comme un pur poème visuel. Pour arriver à cela, ça « travellingue » à tout va, ça compose des images somptueuses, ça statufie les scènes en filmant des acteurs figés, immobiles,
ça multiplie les angles sur un même sujet, ça met bout à bout deux mêmes mouvements de caméra, mais avec un plan composé différemment (est-ce qu’un plan représente le présent et l’autre le passé
?), ça répète une scène avec un effet de variation (la femme s’effondre sur le lit par la gauche, puis par la droite), et puis ça filme dans un noir et blanc merveilleux, fantomatique, presque
fantastique, qui transforme le long métrage en la statue filmée à plusieurs reprises, en véritable objet de musée, un peu comme de l’art vidéo avant l’heure…
Mais en tournant « L’année dernière à Marienbad » dans trois lieux différents en prenant soin qu’aucun des trois ne soit Marienbad, Resnais montre qu’il joue avec nous. Le thème du jeu est
d’ailleurs au cœur du film. Tous ces personnages oisifs qui errent comme des fantômes immobiles dans ce château et ses grands jardins n’ont rien d’autre à faire que de jouer : ils assistent à une
représentation théâtrale, jouent au tir au pistolet ou s’adonnent à diverses autres activités ludiques. De nombreux jeux de société sont mis en scène : les dominos, des jeux de cartes comme le
poker ou le fameux « jeu de Marienbad », ayant pris son nom et sa notoriété grâce au film, consistant à disposer des allumettes (ou des jetons, ou des cartes…) en quatre rangées de 1, 3, 5 et 7
puis à prendre chacun son tour une ou plusieurs allumettes d’une même rangée, jusqu’à ce que le perdant soit désigné en prenant la dernière en place… En mettant le jeu, symbole de l’aléatoire et du
hasard, en son centre, le film nous questionne ainsi sur les aléas de la vie, le hasard des rencontres, l’incertitude de la réussite ou encore, pourquoi pas, le libre-arbitre… En jouant avec nous
et en « jouant » au cinéma, en se jouant un peu de nous aussi, le cinéaste ne nous dit-il pas finalement que peut-être la vie n’est qu’un jeu ?






























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