dimanche 15 novembre 2009

Giorgino, de Laurent Boutonnat (France, 1994)





Note :









Difficile, lorsque l’on évoque Giorgino, de ne pas commencer par prendre en compte son statut de « film maudit »… En 1994, Laurent Boutonnat produit et réalise lui-même cette œuvre à laquelle il
tient tellement, qu’il a laissé mûrir en lui tant d’années. Plus tard, compte tenu des moyens énormes investis dans un film aussi sombre et particulier, il avouera lui-même que l’économie de ce
long-métrage était alors parfaitement irrationnelle. L’échec cuisant du film à sa sortie ne fit en fin de compte que confirmer ce que tout le monde attendait… Le cinéaste, dont c’est alors le
deuxième long-métrage après un film sulfureux réalisé à l’âge de 17 ans et totalement disparu aujourd’hui (La ballade de la fée conductrice), insiste beaucoup sur le caractère presque thérapeutique
de Giorgino à ses yeux : il fallait qu’il fasse ce film à ce moment-là, à n’importe quel prix ! Au prix d’un tournage long et difficile, glacé et tumultueux, ainsi que de nombreuses années
d’errance, qui faillirent rompre à jamais sa précieuse collaboration avec la chanteuse Mylène Farmer et qui l’obligèrent à attendre 2007 avant de revenir au cinéma, avec son adaptation de Jacquou
le Croquant…
Giorgino raconte l’histoire du jeune docteur Giorgio Volli qui, en 1918, revient de la guerre malade et blessé. Il souhaite retrouver les enfants malades dont il s’occupait, mais il découvre peu à
peu que ceux-ci sont tous morts noyés dans d’étranges circonstances. Selon certains, Catherine Degrâce, la fille visiblement folle du docteur qui dirigeait l’orphelinat, serait responsable de la
catastrophe…
De part son histoire sombre, le film nous plonge très vite dans une atmosphère glauque et funèbre. Les décors participent à la froideur et à la noirceur de l’ensemble : de vastes étendues de neige
et de glace qui noient les individus, un village perdu dans les montagnes au milieu de nulle part… Une démesure qui élève Giorgino à la hauteur des fresques épiques à la David Lean ! Alors qu’on a
souvent reproché au film sa durée démesurée (presque 3h) compte tenu de la simplicité de son sujet, celle-ci lui confère justement ce souffle et cette ampleur si particulière et finalement si
fascinante…
Mais la beauté plastique et visuelle de l’œuvre de Laurent Boutonnat n’est encore rien comparée à celle des acteurs, tous plus intenses et merveilleux les uns que les autres… A commencer bien sûr
par Mylène Farmer et Jeff Dahlgren, chacun dans leur tout premier rôle au cinéma (et toujours dernier à ce jour !), tous deux comme des enfants pétris d’innocence en lutte à la laideur et à la
cruauté du monde réel… On retrouve également l’excellente Louise Fletcher, Jean-Pierre Aumont dans un rôle de quasi revenant à la fois drôle et inquiétant, Joss Ackland dans celui d’un curé à la
jambe de bois, peu tranquille dans un village peuplé de femmes (tous les hommes sont à la guerre…), ou encore Albert Dupontel en infirmier lui aussi infirme, à l’image de tous ces personnages
diminués, morceaux d’êtres humains plutôt que personnes entières, à la façon des héros beckettiens…
Dans cette histoire d’amour et de mort, à la frontière parfois du conte fantastique, on se demande souvent qui est le plus fou… Si Giorgio Volli se laisse a priori embarqué par amour dans la folie
presque « autistique » de Catherine, les plus malades ne sont-ils pas ces docteurs de l’hôpital, qui font subir les traitements les plus sadiques à leurs patients, ou toutes ces femmes entre elles,
prêtes à lyncher le premier venu au retour du front de leurs maris, tous les pieds devant ?
Eloge de la folie et du monde non pas de l’enfance mais de l’innocence, peuplé de symboles étranges et fascinants, Giorgino s’avère un film puissamment cinématographique et intensément marqué par
le regard de son auteur… Ne ressemblant à aucun autre film connu, d’une modernité probablement trop en avance sur son temps, ce chef-d’œuvre pur a magnifiquement bien vieilli et se laisse regarder
aujourd’hui comme un véritable diamant noir, qu’on savoure jalousement de nombreuses fois en DVD, le plus souvent au beau milieu de l’hiver…






























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2 commentaires:

  1. Très peu de personnes aiment ce film sauf les fans de Mylène Farmer.


    Il est d'aileurs classé en tant que nanard sur nanarland.com.


    Moi je l'ai trouvé bien, un peu long à mon gout et très glauque mais bien dans son ambiance.

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  2. oui un grand et beau film romanesque et romantique, une sorte de versant obscur du cinéma de david lean... les gens qui en disent du mal sont généralement ceux qui ne l'ont pas vu... ;)

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