samedi 10 janvier 2009

La route, de John Hillcoat (Etats-Unis, 2009)




Note :







Il est parfois des « routes » que l’on peut prendre sans réserve. Celle du film de John Hillcoat est l’une de celle-ci… Adapté d’un roman de Cormac McCarthy, apparemment très fidèlement d’après
ceux qui l’ont lu, ce road movie sans voiture, presque statique, a pourtant un pouvoir hypnotique magistral ! Sur « la route », donc, voici un père et son fils, qui marchent vers le Sud, allez
savoir pourquoi… Autour d’eux, tout est dévasté. L’apocalypse a eu lieu et le monde disparaît non pas sur un grand « boum » mais dans une lente agonie, qui dure déjà depuis des années… Dans la
description de ce monde post-apocalyptique, Hillcoat utilise une couleur froide et argileuse, symptomatique d’un monde souffrant et profondément malade. Il réussit des plans saisissants et
immobiles d’un monde dévasté : nul sensationnalisme ici, comme dans la plupart des films hollywoodiens sur le même thème, mais plutôt une précision picturale merveilleuse, d’une beauté plastique
sidérante, qui nous plonge dans la fable… Car le monde que le cinéaste nous montre, en fin de compte, c’est « notre » monde, c’est le monde « d’après » : après les désastres climatiques, un monde
où plus rien ne vit, un monde où tout finira par mourir… C’est étonnant et inespéré une telle simplicité pour filmer cette odyssée mortuaire, lent cheminement vers la fin du monde. Tout y est du
coup poétique et mélancolique, et nous touche finalement bien plus que n’importe quelle débauche ébouriffante et tonitruante d’effets spéciaux et de scènes d’action acrobatiques… La tension est ici
bien plus palpable dans son misérabilisme, parce qu’elle pourrait bien être la notre : l’écran nous tend le miroir terrifiant de notre vérité à venir !

Dans ce monde sur le déclin le plus désespérant, les animaux ont tous disparu et la végétation pousse ses derniers soupirs. Impressionnantes scènes où les arbres eux-mêmes, n’en pouvant plus,
s’effondrent au sol dans un grand fracas… Au milieu du chaos, quelques hommes sont encore là, mais il faut voir dans quel état… L’humanité est elle aussi en train de rendre l’âme, dans tous les
sens du terme. Numériquement, la race se dépeuple, laissant derrière elle des villes fantômes et des autoroutes désertes… Spirituellement, l’espèce s’animalise dans la logique de la survie. Rongés
par la faim, les hommes deviennent alors prêts à tout, même à manger leurs semblables… Des séquences atroces nous présentent quelques actes de cannibalisme insoutenables : une chasse à cour
organisée en plein champs à l’encontre d’une mère avec son enfant, une maison avec une cave sinistre où des individus à moitié morts tiennent lieu de garde-manger… Dans cette vision déshumanisée de
l’espèce, les véritables hommes, les « gentils », sont ainsi de moins en moins nombreux, et doivent se méfier de tous ceux qui croiseront leur route. Si le père reste encore un peu humain, c’est
grâce à son fils, sans qui il n’aurait plus le courage de survivre encore. Mais on voit bien que l’usure le guète : quoi de plus horrible pour un père que de devoir enseigner à son fils la
meilleure façon de se suicider au cas où il se ferait prendre ? Chaque rencontre donne lieu aussi à une suspicion systématique et maladive : si parfois il faut tuer afin de ne pas être tué, ne
faut-il pas d’autres fois réapprendre à faire confiance ? Seul le fils conserve encore en lui cette capacité si belle et humaine à la compassion et à l’amour, et il devra souvent supplier son père
pour rester avec lui dans cette façon d’envisager le monde…

C’est là qu’apparaît la perspective la plus étonnante de ce film d’anticipation électrochoc ! Oserais-je dire que j’ai pleuré quasiment la moitié du film ? Effectivement, en plus de sa description
saisissante d’apocalypse lente et de ses réflexions philosophiques sur une humanité livrée à sa propre bestialité, le film réussit en outre un étonnant mélodrame, au degré d’émotion vraiment très
fort… La relation quasiment exclusive entre le père et le fils est bien entendu au centre de ce film bouleversant. En peu de mots, avec des gestes simples mais à la puissance incroyable, cette
relation plus qu’humaine est sublimée par les images. Elle incarne au fond le dernier espoir pour l’humanité. A travers ces deux personnages, superbement interprétés par Viggo Mortensen et Kodi
Smit-McPhee, c’est le cœur du monde tout entier qui continue encore de battre… En voix off, le père explique que son fils est pour lui comme un Dieu, probablement le dernier des dieux sur Terre.
Lors d’une brève séquence, nos personnages trouvent un refuge où tout semble s’apaiser, un peu comme hors du temps. Ils prennent alors le temps de se laver, comme pour se purifier. Sous la crasse
du monde qui l’avait recouvert, le fils se met alors à rayonner et le visage que nous offre à voir John Hillcoat est proprement celui d’un ange ! Même démarche à la fin, lorsque le père meurt,
vaincu par le temps et la déshumanisation : l’ange reste penché sur lui tout le temps de son agonie… Et que penser de l’ultime séquence ? S’agit-il d’un vision ? Du rêve d’un enfant innocent ? Ou
d’un monde idéal qui renaît grâce à la pureté de cet ange orphelin ?






























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6 commentaires:

  1. Les bonnes critiquent s'enchainent pour ce film !

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  2. Ah j'attendais avec impatience la critique de ce film (et AlX aussi), eh bien je ne suis pas déçue, brillante analyse pour ce film apparemment brillant. Même si je n'irai
    sûrement pas le voir...

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  3. le film a l'air assez puissant en effet ! ça me donne bien envie...

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  4. Très bonne chronique!!

    "la route" devient vraiment LA bonne surprise de l'année, franchement je suis très content pour notre Viggo!!!

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  5. Moi qui pensais qu'aucun autre film cette année ne pourrait me toucher autant qu'un "Prophète" de Jacques Audiard, et bien c'est raté!
    J'ai également vécu de manière très viscérale The Road/La Route il y a 2 jours et l'intensité du film m'a bluffée: le propos d'abord, à savoir une vision post-apocalyptique d'une Terre dévastée par
    quelque événement climatique.
    Et dans la mise en scène, pas de chichi, l'humanité se consume à petit feu encore et encore via une nature dévastée, les arbres calcinés n'en finissent pas de tomber et de mourir.
    Nous suivons à l'écran un père et son fils qui se lancent sur la route vers le Sud, à la recherche d'un ailleurs meilleur?
    Les rares humains qui subsistent  adoptent l'instinct de survie le plus vil qui soit: le cannibalisme est de rigueur bien souvent, une des scènes les plus dures pour moi étant celle où le père
    et son fils découvrent dans une cave des êtres décharnée et affamés; ce passage m'a fait penser à la Shoah, à l'extermination dans les camps nazis, degré zéro de l'humanité.
    Mais le père survit par et pour son fils; il lui inculque des valeurs d'humanisme qui apparente ce jeune garçon à un Dieu, un messie qui portera le feu sacré de la vie et de l'espoir après la mort
    du père.
    Quelques signes d'espoir quand même dans ce film très éprouvant; il n'y a quasiment plus d'animaux sur cette terre, plus d'oiseaux, mais on aperçoit quand même un scarabée qui s'envole à un moment;
    le fil très ténu du cycle de la vie n'est pas entièrement rompu.
    Et à la fin, l'enfant rejoint une famille, un couple avec 2 enfants; ils vont poursuivre leur chemin ensemble.
    Un film magistral, profond, mais très éprouvant à regarder!
    Merci Violaine de m'avoir indiqué ce blog, et bravo à l'auteur du blog pour la qualité de son analyse.

     

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  6. Bien sûr, chacun verra ce qu'il veut dans la scène finale; mais pour moi le petit garçon n'est pas mort, ce n'est pas une parabole sur la fin de l'humanité, mais l'espoir qui renaît, tout
    simplement...

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